Lorsque le gouvernement vend l’héritage culturel de son pays, hypothèque-t-il l’État? La vente du château Gevrey-Chambertin en Bourgogne, le contrôle de la paysannerie dans les Vosges et l’expropriation des agriculteurs dans les Landes soulèvent des interrogations sur la transformation de la France.
À la vue des répliques du Château de Versailles et de la tour Eiffel, la Chine semblait s’être approprié les monuments-clés de la culture française. Si les investissements chinois en France étaient quasi inexistants au début des années 2000, ils sont estimés à 3,2 milliards d’euros pour l’année 2015, d’après le cabinet d’avocats Baker & McKenzie, rapporte par Le Monde en mars.
En 2011-2012, les investisseurs chinois ont manifesté leur goût pour le Bordelais en devenant le premier importateur en volume, soit 523 000 hectolitres selon le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux ( CIVB ), d’après France Info en 2013. Ces investisseurs ont acquis plus d’une vingtaine de châteaux de la région sur un total de 8000 domaines, dont certains prestigieux, rapporte Le Monde en 2012.
Au même moment, le château Gevrey-Chambertin et son vignoble appartenant aux membres de la même famille française ont été vendus à l’homme d’affaires chinois et propriétaire de casinos à Macao, Louis Ng Chi Sing pour la somme de 8 millions d’euros. Une fraction du revenu du sexagénaire qui a gagné 15,7 millions d’euros en 2011, selon BusinessWeek.
Bien que la production du domaine de deux hectares soit minime à comparer aux 550 hectares de vigne servant à produire le fameux vin de l’appellation Côte de Nuits, soit 3,6 millions de bouteilles par an, cette acquisition a choqué pour son aspect symbolique. Il s’agit du premier investissement chinois en Bourgogne, en plus d’excéder 5 millions d’euros, rappelle Le Figaro en 2012.
À l’estimation initiale du domaine à 3,5 millions d’euros, les viticulteurs de la région ont proposé 4 millions d’euros, une offre augmentée à 5 millions par la suite. «Les propriétaires en voulaient 7 millions et ils l’ont vendu à 8 », a déploré un viticulteur à Le Monde en 2012.
En vendant à des prix aussi élevés, la valeur de la propriété foncière dans la région augmente et les habitants n’ont plus les moyens d’acheter.
Aseptiser
Si les investisseurs chinois profitent de la situation économique pour acquérir des domaines viticoles, le « mélange de déréglementation économique et de réglementation de la vie quotidienne achève de transformer l’Europe en province du Nouveau Monde », dénonce l’écrivain Benoît Duteurtre dans le Monde diplomatique du mois d’août.
En France, la direction départementale de l’agriculture veille à l’application des contraintes en vigueur : séparation des bâtiments agricoles et des bâtiments d’habitation, élevage des bêtes hors-sol sur des surfaces en béton, injection de puces qui permettent de reconstituer le parcours de chaque animal, alimentation par des marques labellisées, stérilisation des produits de la ferme, utilisation obligatoire de gants de plastique et de bonnets destinés à protéger les aliments de toute contamination. Ce type d’hygiénisme « obsessionnel » en provenance des États-Unis et d’Europe du Nord achève l’agriculture montagnarde commencée au Moyen Âge quand les moines défrichèrent les forêts profondes, poursuit l’écrivain.
Dans le département des Vosges en Lorraine, Josette Antoine, 60 ans, tient une ferme en altitude au milieu des forêts. Les vaches et les veaux occupent une étable à l’intérieur de la maison; les lapins mangent de l’herbe fraîche; les poules picorent les grains, les vers de terre et les restes de table. La fermière vend son lait chaud, à peine sorti du pis, et son fromage mûrit lentement sur les égouttoirs, à l’air libre. « Vous savez, madame ? On laisse faire parce que vous êtes âgée, mais c’est seulement une tolérance. Après, ce sera fini ! TER-MI-NÉ ! », avertis l’inspecteur de l’hygiène, rapporte l’écrivain.
Cet « après » se réfère au décès de la fermière, lorsque son fils détruira l’étable, les clapiers et le cellier à fromages suivant les recommandations administratives. Pourtant, les scandales d’hygiène alimentaire sont tous issus d’une agriculture industrielle aux normes rigoureuses. Le moindre dysfonctionnement dans le mode d’alimentation des bêtes et les conditions d’élevage intensif peut provoquer des empoisonnements. Les défaillances de la « chaîne du froid » comme les mauvaises décongélations et les stérilisations déficientes, donne en exemple l’écrivain.
Squatter
Devant le projet de l’aéroport Grand-Ouest visant l’expropriation des habitants d’une zone de 2000 hectares de forêts de prairies à Notre-Dame-des-Landes en Loire-Atlantique, le documentaire Le Dernier Continent ( 2014 ) réalisé par Vincent Lapize relate la résistance manifestée à partir du printemps 2012 jusqu’au printemps 2014 dans cette zone appelée « Zone à Défendre » (ZAD).
Le groupe se compose d’agriculteurs de la région, de squatteurs organisés pour l’autarcie et de gens de divers horizons, parfois de passage. À la suite d’affrontements avec les corps policiers qui ont incendié leurs habitations, le groupe est revenu sur les lieux afin de les réaménager. Une sorte de petit village s’est créé, ouvert aux arrivants, pour assurer la survie du groupe en conformité avec ses valeurs.
La loi française n’autorise pas la vente de terres agricoles sans l’autorisation d’une société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Un organisme rattaché au ministère de l’agriculture censé protéger les politiques publiques agricoles dont la préservation du « modèle agricole familial », à des fins de sécurité alimentaire, rappelle TV5 Monde en avril.
Pourtant, la firme HongYang a contourné la législation par le rachat, entre 2015 et 2016, de 1 700 hectares divisés en trois exploitations différentes où se cultive le blé, le colza et l’orge dans le département de l’Indre en Loire-Atlantique.
Le groupe China Hongyang est spécialisé dans la fabrication et la commercialisation d’équipements pour les stations-service et l’industrie pétrolière.