Les romans historiques ont souvent l’avantage, lorsqu’ils sont bien écrits, de faire découvrir une région, et surtout une période rarement explorée par les auteurs les plus connus d’un style littéraire. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les romans policiers. Et n’en déplaise à Michael Connelly et au défunt (et regretté) Henning Mankell, il fait parfois bon quitter Los Angeles et les terres tristes de la Scanie pour voyager un peu.
Autant Le passager d’Istanbul, de Joseph Kanon, plongeait le lecteur dans l’univers d’une Turquie post-Deuxième Guerre mondiale où les Américains et les Soviétiques intriguaient au cours de ces premiers jours de la Guerre froide, autant La mort entre les lignes, de Rosa Ribas et Sabine Hofmann, adopte une approche similaire en transposant son action dans l’Espagne des années 1950 sous la dictature de Franco.
On y fait la connaissance d’Ana Marti, journaliste habituellement confinée à la chronique mondaine, qui se voit soudainement affectée à la couverture du meurtre d’une riche veuve de Barcelone. Les autorités ayant pratiquement les pleins pouvoirs sous la dictature, cette assignation sert surtout à démontrer que la police effectue « promptement » son travail.
Rapidement, toutefois, la jeune femme découvrira que les apparences sont trompeuses, et que le cambriolage ayant mal tourné est en fait un assassinat pur et simple au coeur d’une véritable conspiration impliquant des gens haut placés dans l’édifice du pouvoir.
Sans vouloir dévoiler des sections trop importantes de l’intrigue, le lecteur a droit ici à une manipulation de l’appareil étatique par des gens luttant contre le système pour tirer une étrange affaire au claire. Pouvoir, violence, intrigue… le mélange est appétissant, mais la mise en bouche est particulièrement lente. Dans la perspective de présenter l’héroïne, sa tante et son cousin comme des « gens normaux » vivant et travaillant tant bien que mal dans un système fasciste s’auto-alimentant en haine et en utilisation de la violence à des fins politiques, les auteures étirent franchement trop la sauce. Pendant 300 pages, on attend que l’enquête progresse, on espère se mettre enfin quelque chose sous la dent. Des indices sont dévoilés, certes, mais le portrait de la situation est trop… banal, trop réaliste. Le propre du roman n’est-il pas de créer un univers où l’esprit s’engouffre? L’histoire policière doit comporter une certaine tension, une notion de danger, chose qui est largement absente de cette Mort entre les lignes.
L’oeuvre innove en jouant sur les codes, bien sûr, mais le résultat est trop aseptisé pour motiver l’endurance littéraire qui est exigée ici. Et c’est bien dommage.