Gloria Jean Watkins, alias bell hooks, est née une dizaine d’année avant ce qu’on nomme communément « révolution sexuelle ». Mais les changements de comportements qui ont suivi les années 60 ne semblent pas l’avoir satisfaite. L’amour nous serait enseigné de manière erronée; l’artiste aspire ainsi à redonner tout son sens à la chose.
Car le mot n’est jamais cité. On lui préfère « la chose ». On veut nous parler de la chose en nous éloignant de tout ce qu’on nous a dit auparavant. Fini le romantisme, les sentiments et toutes ces émotions mièvres et désormais dépassées.
Le spectacle de danse, de musique et de théâtre L’amour ou rien, proposé à l’Espace Go et librement adapté de all about love: new visions par Lorrie Jean-Louis, dans une belle mise en scène de Mélanie Demers, proposerait enfin toutes les dimensions de l’amour, même s’il n’est pas sûr que le projet soit vraiment abouti. Mais le spectacle a quand même des qualités esthétiques qui en font un objet intéressant.
Pour tout dire de l’amour, il conviendrait donc déjà de ne pas le nommer. La chose est une révélation, voire une révolution. Et il conviendrait de le penser avec le corps.
Sept danseurs, chanteurs, musiciens, acteurs (deux hommes et cinq femmes), et une percussionniste à la batterie entrent en scène en tenues de soirée scintillantes dans un grand roulement de tambours. Leurs corps paraissent immenses ou minuscules sur le sol en pente qui les réfléchit. Les tenues sont belles et excentriques, composées de fourrures, de dentelles et de paillettes qui s’illuminent sous les éclairages savamment dosés. La musique est souvent emportée, on sent la colère, la frustration, la révolte, la revendication.
Le monde tel qu’il est n’est pas au goût des acteurs, qui prennent la parole à tour de rôle, entre les performances dansées et chantées. De beaux instruments à vent s’intercalent dans les séquences, ajoutant leurs reflets dorés aux tableaux. Les chorégraphies sont bien réalisées. Les chants sont agréables et l’esthétique de l’ensemble est plutôt réussie, tandis que les propos mènent le spectateur sur des chemins énigmatiques, une nouvelle cartographie capable de clarifier ce qu’est vraiment l’amour et ce que les protagonistes en attendent.
Ainsi convient-il de trancher avec le romantisme, la tendresse, la douceur. Ces concepts sont sans doute d’un autre âge. Ici la revendication est politique et érotique, clairement aux antipodes de notre société « qui pue ».
On recherche la totalité de la chose; on veut mettre fin au manque de brillance, à l’humiliation, aux tromperies et aux dissimulations; aux enfants sur les pelouses, aux clôtures blanches et aux barbecues; pour enfin atteindre le divin et la transcendance… C’est l’Afrique – un concept mal défini – qui avec son ciel immense, nous permettrait peut-être d’y arriver.
Les propos ajoutent de nombreuses injonctions faites à autrui pour s’occuper de soi. Mais à aucun moment, on n’envisage soi-même de s’occuper de l’autre. Finie, semble-t-il, l’idée qu’en amour, on offre à l’autre ce qu’il n’attendait pas et qu’il ne voulait pas. Terminée la magie de la rencontre avec cet autre qui ne sera plus autre, et avec qui on tentera de ne former qu’un.
J’avoue que cette vision hypernarcissique de l’amour dans la bouche des acteurs ne m’a pas convaincue. Les danseurs grimaçants ne semblaient pas épanouis non plus, de même que les fous rires au bord des larmes de désespoir.
Le message reçu était davantage celui d’un ressentiment qui pousse à des revendications, plutôt que d’une contribution personnelle à l’amour. Cette chose, en effet, reste toujours mystérieuse, et son mystère en fait la grande qualité. Heureusement, peut-être, qu’aucun mode d’emploi ne pourra jamais l’éclairer et surtout le totaliser.
L’amour ou rien
Texte élaboré à partir de all about love: new visions de bell hooks
Traduction et adaptation : Lorrie Jean-Louis
Mise en scène et chorégraphie : Mélanie Demers
Dramaturgie : Mélanie Demers, Angélique Willkie
En collaboration avec Vlad Alexis, Rachel Amozigh, Ariel Charest, Frannie Holder, Mimo Magri, Carla Mezquita Honhon, Fabien Piché et Laurie Torres
Costumes : Elen Ewing
Éclairages : Paul Chambers
Musique : Frannie Holder
L’amour ou rien, du 15 avril au 10 mai 2025 à l’Espace Go à Montréal