À trop vouloir le bien, créons-nous le mal? Est-ce que l’amour de soi peut en fait entraîner la violence et la mort? Avec Le roi Lear, adaptée et présentée ces jours-ci à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, Shakespeare prouve, encore une fois, que ses oeuvres théâtrales sont toujours aussi pertinentes.
Sentant la fin arriver, et souhaitant justement éviter d’éventuelles disputes qui pourraient dégénérer, le roi Lear décide de scinder son royaume en trois, et d’offrir l’un de ces tiers à chacune de ses filles, à condition qu’elles lui déclarent leur amour inconditionnel.
Mais voilà qu’après deux discours ronflants, la plus jeune, Cordélia, fait preuve d’une honnêteté désarmante. Hébété, le roi décide plutôt de la bannir et de la donner en mariage au roi de France.
Ainsi commence la lente descente aux enfers du souverain: figé dans ses traditions, frustré de se voir peu à peu évincé du pouvoir, alors qu’il a pourtant choisi de se retirer des affaires courantes du royaume, le voilà qui finira par plonger dans la folie, au moment même où ses deux autres filles, en compagnie du fils illégitime de son plus proche conseiller, vont en venir à conspirer contre le chef d’État.
Dans une mise en scène audacieuse de la part de Jon Lachlan Stewart, les comédiens circulent largement sur une scène surélevée formée de deux cercles concentriques. Déjà situés en angle, et créant de ce fait une idée de dysfonctionnement, de dérangement, ces cercles en viendront à être placés de biais l’un par rapport à l’autre, forçant non seulement les comédiens à faire attention où ils mettent les pieds, mais exacerbant du même coup cette atmosphère de dégradation sociale, politique et psychologique.
Parlant de psychologie, d’ailleurs, comment ne pas saluer la performance magistrale de Marc Béland? Vieilli, hagard, avec une longue barbe partant un peu dans tous les sens, le comédien semble faire plus que se glisser dans la peau du vieux souverain; il devient le roi Lear, avec ses espoirs, ses peines, ses rêves d’une gloire passée.
On appréciera, également, l’adaptation réalisée par Jean Marc Dalpé, qui ne s’est pas privé de couper dans un certain gras théâtral, si l’on peut s’exprimer ainsi. Ainsi, certaines répliques, que l’on pourrait imaginer longues et ampoulées, sont ramenées à l’essentiel, quand elles ne sont pas carrément remplacées par de l’argot (ou des jurons) bien de chez nous.
Saluons, par ailleurs, le recours à des marionnettes et des torses de mannequins pour occuper la place de chevaliers, d’hommes de main, ou encore des conjoints des différentes filles du roi. Est-ce à dire que ces hommes, justement, ne sont que des faire-valoir? Qu’ils sont si peu importants qu’un bout de bois ou un ramassis de tissus peut les remplacer? M. Dalpé n’offre jamais de réponse claire; au public de se faire une idée sur la question.
Puissant, touchant, toujours criant d’actualité, Le roi Lear, dans cette nouvelle version, est une excellente relecture de l’oeuvre du Barde, le tout porté par une solide distribution et un Marc Béland au sommet de sa forme. À voir! Avant de sombrer dans la folie…
Le roi Lear, de William Shakespeare, traduit et adapté par Jean Marc Dalpé, mise en scène par Jon Lachlan Stewart
Avec Marc Béland, Jérémie Francoeur, Sharon Ibgui, Simon Landry-Désy, Emmanuelle Lussier-Martinez, Lior Maharjan, Clara Prévost et Dominique Quesnel
À la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 18 octobre