Originalement paru en 1984 et récipiendaire de pas moins de huit Oscars, Amadeus a été complètement restauré l’année dernière pour souligner son quarantième anniversaire, et le chef-d’œuvre de Milos Forman est maintenant disponible pour la première fois en 4K.
Par une nuit de novembre 1823 à Vienne, Antonio Salieri, l’un des compositeurs les plus connu d’Europe avec une quarantaine d’opéras à son actif mais dont le nom et les musiques ont été éclipsées de la mémoire collective par la venue d’un certain Mozart, tente de se suicider en s’accusant d’être responsable de la mort du musicien. Il est sauvé in extremis par ses domestiques, et transporté dans un hôpital psychiatrique. Le père Vogler, un prêtre catholique, vient le visiter et l’invite à se confesser. Le vieillard entreprend alors de parler de sa relation tumultueuse avec son génial rival.
Salieri admirait depuis longtemps le jeune prodige ayant écrit son premier concerto à l’âge de quatre ans, sa première symphonie à sept et son premier opéra à douze. Il est même la raison pour laquelle il a décidé de se tourner vers le métier de musicien, mais dès leur première rencontre, le compositeur fût déçu par la frivolité, la désinvolture et la vulgarité de son idole. Se révoltant contre Dieu, qui a choisi de s’exprimer à travers cet être indigne plutôt que lui, l’homme humble et pieux, il s’est alors promis de détruire Mozart, son émissaire sur Terre, même s’il était en pamoison devant la musique divine créée par le génie.

Peut-on dissocier la personnalité d’un artiste de son œuvre? C’est la question qui sous-tend Amadeus, le film qu’a consacré Milos Forman à Mozart en 1984. Le cinéaste livre ici un portrait surprenant du compositeur, le présentant comme un bouffon excentrique au rire ridicule, un coureur de jupons et un alcoolique criblé de dettes capable de coucher sur papier d’un seul jet les chefs-d’œuvres musicaux qu’il entendait dans sa tête. En s’attardant à la rivalité entre lui et Salieri et au drame humain unissant les deux hommes, le long-métrage dépasse la simple biographie pour atteindre le statut d’œuvre universelle et intemporelle.
Bouleversant les bonnes mœurs d’une époque où la fonction de l’art était d’honorer Dieu et multipliant les pieds de nez envers l’autorité et la morale, Mozart est dépeint comme un punk avant la lettre dans Amadeus. On assiste à la censure et aux caprices imposés par la royauté, seul mécène des artistes en ces temps-là, notamment à travers la controverse autour de son adaptation des Noces de Figaro, une pièce que l’empereur avait bannie, ainsi qu’aux critiques de ses détracteurs, qui considéraient que ses morceaux contenaient « trop de notes ». On voit également comment la mort de son père lui inspirera Don Giovanni, son opéra le plus sombre.

La reconstitution d’époque dans Amadeus est magistrale avec ses costumes flamboyants, l’opulence des palais et des églises, ou les salles de spectacles et les bals costumés où prennent place des centaines de figurants. Le film possède une merveilleuse façon d’intégrer les pièces de Mozart à l’action. Ses scènes ont été construites sur la musique, pas le contraire, ce qui se traduit par une symbiose magique entre la trame sonore et la cinématographie. Encore aujourd’hui, alors que les effets spéciaux ont fait des pas de géants en quatre décennies, les maquillages en latex vieillissant Salieri sont toujours très convaincants.
Le film repose d’abord et avant tout sur un duel d’acteur comme on en voit rarement au cinéma. Jouant Mozart, Tom Hulce livre la performance de sa carrière, et interprète avec talent la déchéance progressive de l’homme, qui, de bon vivant insouciant, se détruit peu à peu en se donnant corps et âme à sa création au détriment de sa santé et de sa salubrité mentale. Oscillant constamment entre admiration sans borne et haine viscérale, F. Murray Abraham est parfait dans la peau de Salieri, un rôle qui lui vaudra l’Oscar du meilleur acteur cette année-là. La distribution compte également Jeffrey Jones, qui campe l’empereur Joseph II, ainsi qu’une très jeune Cynthia Nixon (Sex and the City).

En se procurant la version ultra-haute définition d’Amadeus, on obtient le film sur disque 4K ainsi qu’un code donnant accès à une copie numérique. Ceux qui souhaitent en apprendre davantage sur la production seront servis avec deux Making Of, le premier de près de 25 minutes, le second de plus d’une heure. On découvre la collaboration intense entre Milos Forman et Paul Shaffer, l’auteur de la pièce de théâtre dont le film est adapté, la décision d’engager deux acteurs peu connus pour les rôles principaux par souci d’authenticité, ou les difficultés du tournage à Prague, qui était sous occupation soviétique à l’époque. On a aussi droit à des entrevues avec plusieurs des membres de la distribution.
Il ne se fait malheureusement plus de grands films comme Amadeus de nos jours, et par sa qualité scénaristique et cinématographique, même ceux et celles qui n’ont aucun intérêt pour la musique classique risquent d’apprécier ce chef-d’œuvre de Milos Forman.
9/10
Amadeus
Réalisation: Milos Forman
Scénario: Peter Shaffer et Zdenek Mahler
Avec: F. Murray Abraham, Tom Hulce, Elizabeth Berridge, Roy Dotrice, Simon Callow, Christine Ebersole et Jeffrey Jones
Durée: 159 minutes
Format : UHD (4K et copie numérique)
Langue : Anglais, français et espagnol