Comment des gouvernements autoritaires, pourtant gangrenés par la corruption, résistent-ils mieux à la colère populaire? Grâce aux racines institutionnelles du parti au pouvoir, révèle une nouvelle étude publiée alors que la démocratie perd des plumes à l’échelle du globe.
Les travaux, réalisés par l’Université du Massachusetts et publiés dans Democratization, révèlent qu’un parti au pouvoir bien ancré dans les institutions politiques peut ainsi « isoler » son dirigeant, disposant du pouvoir absolu, contre les effets déstabilisateurs de la corruption.
En utilisant des données allant de 1955 à 2010, ainsi qu’en s’appuyant sur une nouvelle mesure de l’institutionnalisation des partis autoritaires, Mme Rosemary Pang a démontré que plus un parti est ancré dans les institutions politiques, moins des manifestations ont de chances de faire tomber un régime autoritaire.
« Bien que la corruption puisse faire augmenter le nombre de manifestations antigouvernementales, l’institutionnalisation réduit l’impact de cette même corruption », a souligné la chercheuse.
L’étude met également de l’avant trois mécanismes à l’aide desquels ces partis sapent les forces vives des protestataires.
Tout d’abord, le côté prévisible de la corruption: les partis créent un système de corruption structuré, ce qui rend le tout plus prévisible, et donc ayant moins de risque de déclencher la colère de la population. Lorsque la corruption respecte certaines règles, les citoyens pourraient la considérer comme une forme indésirable, mais inhérente, de gouvernance, plutôt qu’un abus de pouvoir arbitraire.
Cela ne veut pas dire, écrit-on, que la corruption n’a pas d’effet négatif, mais seulement que ses impacts sur la mobilisation citoyenne dépendent de l’institutionnalisation de cette même corruption.
Ensuite, la distribution des avantages de la corruption: les partis fermement implantés dans les arcanes du pouvoir répartissent les bénéfices économiques de la corruption à un plus grand nombre de citoyens, ce qui réduit les doléances. En intégrant davantage de gens dans ce réseau corrompu, ces régimes résistent mieux à l’opposition et alimentent les différents groupes d’intérêt en maintenant le status quo.
Enfin, la canalisation de la dissension à l’intérieur des mécanismes du parti: plutôt que d’éliminer le mécontentement, les partis fortement institutionnalisés offrent des « soupapes » contrôlées pour exprimer des opinions contraires, comme des négociations à l’intérieur du parti, ou encore la possibilité d’ajuster les politiques publiques. Cela peut également éviter que de la colère ne se transforme en manifestations dans les rues.
Une façon de mesurer la force des partis autoritaires
Dans le cadre de ses travaux, Mme Pang a cherché à mesurer l’ampleur de l’institutionnalisation des partis non-démocratiques en évaluant leur longévité, leur force organisationnelle et leur intégration au sein de la société civile.
L’étude révèle que si la corruption est souvent associée à une augmentation du nombre de manifestations, au sein des régimes autocratiques, cet effet diminue à mesure qu’un parti s’intègre davantage dans les institutions politiques.
Et toujours selon Mme Pang, ce pouvoir des partis autoritaires bien implantés peut même se transmettre de leader en leader.
« Dans les pays non-démocratiques, simplement se débarrasser d’un chef corrompu ne suffit pas. Si le parti au pouvoir conserve ses assises, alors il pourra continuer de faire taire l’opposition et d’alimenter le système corrompu », dit-elle.
« Voilà pourquoi la promotion de la démocratie ne devrait pas seulement porter sur les leaders, mais sur le fait d’affaiblir les institutions associées au parti au pouvoir. »
Si les régimes autocratiques et démocratiques fonctionnent différemment, Mme Pang affirme que l’importance des institutions transcende toute forme de gouvernement.
« Lorsque les institutions sont solides, dans les démocraties, elles peuvent assurer le maintien des normes et forcer les leaders à rendre compte de leurs gestes. Mais autant dans les démocraties que les régimes autoritaires, lorsque les institutions s’affaiblissent ou deviennent des outils de contrôle politique, la corruption et l’instabilité peuvent suivre aisément », soutient-elle.