La guerre en Ukraine, oui, mais en version audio seulement. Ou presque. Scénarisé et réalisé par la documentariste ukraino-canadienne Oksana Karpovych, Interceptés lève le voile sur la réalité parfois douloureuse, mais aussi bien souvent terrifiante, de ces soldats russes envoyés envahir l’Ukraine pour assouvir les visées impérialistes de Vladimir Poutine.
Couronné lors de la plus récente édition des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), le film, qui vient de prendre l’affiche ici, se déguste lentement, méthodiquement, souvent avec parcimonie, et parfois même en grimaçant.
Ce concentré d’appels téléphoniques passés entre des Russes au front, en Ukraine, et leurs proches restés sur le territoire russe, appels interceptés par les services secrets ukrainiens (d’où le titre, forcément), témoigne de l’absurdité de cette invasion.
De mars à novembre 2022, ces soldats racontent à la fois des choses très terre à terre et des situations complètement impensables en temps normal. Bien entendu, la réalisatrice a effectué un tri parmi tous ces coups de téléphone, mais on sourcille en entendant ce qui est supposément la crème de l’armée russe raconter leur surprise devant l’opulence (toute relative, bien entendu) des ménages ukrainiens.
« Ils ont énormément de bétail », entendra-t-on à plusieurs reprises. De quoi s’interroger sur la véritable richesse du peuple russe. Mais si l’on tient compte du fait que les soldats envoyés mourir (et piller, et violer, et torturer) en Ukraine sont souvent originaires des régions pauvres de la Fédération de Russie, et non pas des grandes villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg, on comprend un peu mieux pourquoi le fantassin moyen est presque extatique en annonçant qu’il vient de voler des patates, ou encore des vitamines ou des vêtements de sport.
Il y a bien, aussi, quelques objecteurs de conscience, ou plutôt des soldats qui se sont rapidement rendu compte de l’absurdité de cette guerre et de l’ampleur des mensonges de la propagande de Moscou… Mais il y a aussi ceux qui semblent très heureux d’annoncer à leur famille ou à leur petite amie qu’ils tuent allègrement des civils, ou encore qu’ils torturent des prisonniers.
« C’est de votre faute, nous avons été obligés de venir vous protéger », expliquera, dans une démonstration étonnante de la « logique » russe, l’un de ces soldats, pour justifier d’avoir commis des crimes de guerre en tuant des innocents.
De fait, si l’on pouvait parfois, dans le très bon Russians at War, comprendre la cruauté économique et sociale de la Russie qui pousse les plus pauvres et les moins éduqués à s’enrôler, ici, comme dans le documentaire d’Anastasia Trofimova, la réalité est montrée sans fioritures.
Un vaste pourrissement
Ainsi, ce ne sont pas seulement les soldats au front qui sont des monstres sanguinaires, c’est aussi le reste de la société russe qui les appuie, ces mères qui encouragent leurs fils à « tuer les sous-humains » ukrainiens, ces membres de la famille qui évoquent « les expériences biomédicales de l’OTAN » pour justifier la guerre…
Bien entendu, ce ne sont pas « tous les Russes » qui sont à clouer au pilori, mais il est aussi clair que des millions d’entre eux sont tout fait heureux des décisions du président Poutine. La victoire ne sera donc pas complète avec la seule libération du territoire ukrainien, mais aussi avec le démantèlement de tout ce qui a été gangrené par l’appareil « poutinien » du dernier quart de siècle.
En attendant, Interceptés est un bon, voire un très bon documentaire. Un film qui en dit, qui en montre juste assez pour que l’on comprenne ce qui s’est passé, au cours des premiers mois de la guerre, et ce qui se passe probablement encore, sur le terrain. Une oeuvre terrifiante de part son côté ordinaire… et donc une oeuvre tout à fait nécessaire.