On a presque envie de se dire « c’est tout? ». Est-ce pour ce film, documentaire intéressant, certes, mais pas spécialement révolutionnaire, que l’on aurait proféré des menaces à l’encontre du Festival international de films de Toronto, le TIFF, et fait annuler la projection de Russians at War? Au contraire, l’oeuvre de la cinéaste canado-russe Anastasia Trofimova ne fait aucunement l’apologie de l’invasion russe de l’Ukraine, montrant plutôt la vie misérable de ces soldats partis au front pour des raisons stupides et envoyés au casse-pipe.
En fait, on pourrait presque comprendre l’argumentaire de ces partisans pro-Kiev, dont la vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, qui a elle-même des origines ukrainiennes. Car oui, le film tourné quasiment sous le manteau, sans la permission du ministère russe de la Défense, présente des hommes et des femmes qui ne sont pas nécessairement les tueurs sanguinaires, les violeurs russes barbares lâchés sur les civils ukrainiens.
En ce sens, donc, on pourrait être tenté d’en prendre certains en pitié. Surtout ces médecins et autres infirmiers forcés de travailler avec les moyens du bord, en transportant dans la même camionnette déglinguée qui des vivres pour les villageois vivant dans la misère, près du front; qui des blessés, et qui des cadavres, parfois ceux de leurs amis, tués par un obus ou un drone.
Mais, faut-il encore le rappeler, nous ne sommes certainement pas devant une oeuvre de propagande. En fait, ce que Russians at War démontre, c’est la réussite de l’État russe, lorsque vient le temps de convaincre ces gens paumés, ces personnes sans perspectives économiques favorables, ou encore ceux dont le cerveau a été efficacement lavé par la Russie de Vladimir Poutine, d’aller se battre et mourir pour quelques mètres de terres ukrainiennes constellées de cratères.
D’ailleurs, s’il y a bien quelques têtes brûlées convaincues qu’il y a des nazis, en Ukraine – un autre odieux mensonge de la Russie kleptocrate de Poutine –, la plupart des soldats interrogés sont généralement des trentenaires, voire bien souvent des quarantenaires, ou encore des quinquagénaires qui se sont enrôlés pour l’argent, ou qui ont été conscrits. Et bon nombre d’entre eux ont souvent dépassé la durée de leur contrat, justement. Mais sans autre option que de retourner au front, les voilà qui rempilent.
Russians at War n’humanise pas le soldat russe; le film remet plutôt en contexte cette invasion pour démontrer que si la population est effectivement coupable d’avoir trop longtemps accepté la dictature post-soviétique, et si l’armée russe compte absolument son lot de monstres, de violeurs, de pillards, tous des gens pour qui on ne versera pas de larmes lorsque leur char roulera sur une mine, ou qu’un drone leur larguera une grenade sur la tête, la faute en impute aussi à l’État russe assoiffé de sang.
Il est clair qu’il existait une frontière relativement mince entre le documentaire-vérité et un film qui aurait peut-être trop cherché à défendre le point de vue des soldats russes. Et il est évident, également, qu’Anastasia Trofimova n’a pas excessivement cherché à faire sortir les hommes de leur réserve, ou à les faire s’interroger sur la raison de leur engagement militaire. Oui, elle pose quelques questions, souvent assez pointues pour susciter des interrogations intéressantes, mais trop forcer la note aurait aussi pu mener à son expulsion.
Avec une formule classique, mais toujours aussi efficace; avec des images parfois choquantes, mais nécessaires, et surtout avec un accès autrement impossible à obtenir pour les médias occidentaux, Russians at War est un film antiguerre particulièrement efficace. Impossible, tout au long du visionnement, de ne pas être en colère contre les soldats, oui, mais aussi contre leurs dirigeants assoifés de sang et de pouvoir qui ont déclenché une guerre complètement inutile. À voir, absolument. Dans un tel contexte, la censure est franchement absurde.