Dans les séries télévisées et les films, les personnages brillants ont bien souvent la cote. Cependant, lorsque ces personnages sont joués par des femmes et des membres de minorités ethniques, certains membres de l’auditoire les qualifient alors d’irréalistes, même si les acteurs interprètent des gens ayant vraiment existé, lors d’événements qui se sont réellement produits, révèle une récente étude.
Matea Mustafaj, professeure de communications à l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign, a ainsi constaté que les gens qui adhéraient plus fortement aux stéréotypes raciaux et genrés à propos de l’intelligence étaient davantage portés à croire que les histoires mettant en vedette des protagonistes noirs ou féminins, comme les mathématiciennes qui ont aidé à développer le programme spatial américain tel que dépeint dans le film Hidden Figures, étaient irréalistes comparativement à celles mettant en vedette des protagonistes masculins, comme Bobby Fischer dans Pawn Sacrifice.
Lors de l’étude, les participants ont visionné l’un de quatre extraits de séries télé ou films américains qui mettaient en vedette des personnages principaux intelligents; on leur a ensuite demandé si ces personnages représentaient le genre d’individus dotés de ces habiletés cognitives. Aucun des participants n’a mentionné avoir déjà vu les épisodes ou films utilisés durant les travaux.
Les personnes adhérant aux croyances stéréotypées à propos de l’intelligence ont catégorisé les personnages blancs masculins comme ressemblant davantage aux génies, au sein de l’ensemble de la population, comparativement à des personnes noires, hommes ou femmes, ou encore comparativement à des femmes blanches.
Les résultats des travaux ont été publiés dans Media Psychology.
« Nous avons constaté l’existence d’une association entre la croyance envers les stéréotypes liés à l’intelligence et une diminution de l’impression de réalisme, chez les spectateurs, en lien avec trois identités sociales différentes, soit les femmes noires, les hommes noirs et les femmes blanches, chez qui l’intelligence développée va à l’encontre des stéréotypes », affirme la Pre Mustafaj.
« Dans chacun de ces cas, les participants ont estimé que ces personnages étaient en fait atypiques », alors que ce n’est pas le cas.
Et plus les participants de l’étude croyaient les stéréotypes sur l’intelligence, plus ils jugeaient que les femmes ou les personnes noires brillantes étaient peu répandues dans la vraie vie.
Cette perception de rareté chez ces individus, un terme défini par le fait de juger un événement ou un personnage comme étant répandu ou non dans la vraie vie, permettait ainsi aisément de prédire s’ils trouvaient que les personnages ayant à l’encontre des stéréotypes étaient réalistes.
Cependant, cela n’a pas affecté leur perception de l’aspect réaliste (ou non) des protagonistes masculins intelligents, ont constaté les chercheurs.
L’étude a rassemblé 1000 personnes, dont 53% de femmes. Le groupe était blanc à plus de 73%, avec plus de 9% de Noirs, plus de 6% d’Hispaniques, ainsi que d’autres groupes ethniques. Tous les participants étaient américains, et étaient âgés de 19 à 77 ans.
Une théorie qui prend l’eau
Selon de précédentes études, les films et séries télévisées mettant en vedette des acteurs issus de la diversité et occupant des rôles allant à l’encontre des stéréotypes permettent de transformer les points de vue biaisés existants.
Cependant, affirment les chercheurs des nouveaux travaux, ce potentiel de changement pourrait être mis à mal si les personnes concernées rejettent les personnages ou le scénario comme étant irréalistes. Cela pourrait être particulièrement vrai avec des histoires ou des personnages fictifs, lorsque le public sait que ceux-ci ne sont pas basés sur des faits.
« Lorsque les gens voient des contenus culturels avec des représentations allant à l’encontre des stéréotypes qui entrent en conflit avec leurs croyances, ils trouveront parfois des moyens pour rejeter ces informations et ne pas les incorporer dans leurs valeurs », mentionne la Pre Mustafaj.
Et malgré la pléthore de contenus disponibles, de nos jours, ainsi que l’implication d’un plus grand nombre d’acteurs provenant de la diversité, et qui occupent des rôles contraires aux stéréotypes, les probabilités qu’un individu soit exposé à du contenu qui contredit ses propres valeurs pourrait ne pas avoir augmenté, a par ailleurs découvert la chercheuse lors d’une autre étude, réalisée en 2023.
Ainsi, ces travaux avaient révélé que les gens étaient moins portés à chercher sciemment à consommer des contenus qui entrent en conflit avec leur vision du monde.
Et donc, indique la Pre Mustafaj, les gens ayant le plus besoin d’être confrontés à des points de vue diversifiés pourraient être ceux ayant le moins de chances d’y être exposés.