Ceux qui se rappellent du tableau périodique des éléments ont peut-être gardé en mémoire qu’aux limites de nos connaissances se trouvent les éléments dits « superlourds »: tous ceux qui portent un numéro supérieur à 104. Il y a longtemps qu’une course est engagée vers un mythique élément 120, qui apporterait des lumières sur les forces fondamentales gouvernant la structure des atomes. Est-ce qu’on vient de franchir un pas dans cette direction?
Explication. Le chiffre associé à un élément réfère au nombre de protons qui composent son noyau. Par exemple, un atome d’hydrogène (élément numéro 1) est composé d’un seul proton tandis qu’un atome d’uranium (élément numéro 92) en rassemble 92. Cela fait de l’uranium l’élément naturel le plus lourd connu.
Mais au fil des années, on a créé en laboratoire des éléments plus lourds que l’uranium. Les quatre plus récents portent les numéros 113, 115, 117 et 118 (l’oganesson). Identifiés dans les années 2000 et 2010, ils ont été officiellement ajoutés en 2016 au tableau périodique par l’Union internationale de chimie.
Le problème est que pour les obtenir, il faut faire fusionner des atomes plus légers dans des accélérateurs de particules… et être très patient: le plus souvent, ces atomes se repoussent et dans les très rares cas où ça a fonctionné, leur durée de vie se mesurait en millièmes de seconde. C’est pourquoi on dit d’eux qu’ils sont « instables ».
Un « nombre magique »?
Or, un modèle théorique veut qu’en atteignant le chiffre 120, on toucherait à ce que les physiciens appellent un « îlot de stabilité »: des éléments dont la durée de vie ne se mesurerait plus en fractions de seconde, mais en années, voire en millions d’années. Selon cette théorie, un « nombre magique » de protons et de neutrons assurerait cette stabilité.
On n’en est pas encore là, mais dans deux recherches publiées séparément ces derniers mois, deux équipes annoncent avoir réussi à synthétiser, dans l’accélérateur du Laboratoire Lawrence Berkeley, en Californie, l’élément 116 (livermorium). Ce n’est pas inédit, mais ils y seraient arrivés avec une méthode différente de leurs prédécesseurs. Méthode qui, disent-ils, ouvrirait la porte à la création d’éléments plus lourds, dont le mythique élément 120. La première équipe, de l’Université de Lund, en Suède, n’a pour l’instant produit qu’une étude prépubliée en juillet, tandis que la seconde, de l’Université Berkeley, vient de publier ses résultats dans la revue Physical Review Letters.
Quelle que soit la méthode qui s’avère la plus prometteuse, il faudra peut-être des années avant qu’un groupe démontre sa capacité à produire un « élément 120 », en supposant qu’il y arrive. Mais si quelqu’un y arrive, ça signifiera qu’il y a quelque chose de fondamental à la physique nucléaire qui nous échappait encore: combien de protons et de neutrons peuvent coexister au sein d’un atome — par exemple, quelles sont les limites de ce qui peut être forgé au sein des étoiles, aux quatre coins du cosmos? Qui plus est, si un tel atome était bel et bien « stable », les chercheurs pourraient grâce à lui mieux comprendre les bases fondamentales de la matière — c’est du moins ce qu’ils espèrent.