Il y a 35 ans, le 12 mars 1989, naissait l’idée de ce qui deviendrait le World Wide Web. Aujourd’hui, celui à qui on doit cette idée, Tim Berners-Lee, se désole que son « bébé » ne soit plus aussi ouvert, décentralisé et démocratique que ce que le réseau émergent laissait espérer.
Dans une lettre publiée le 12 mars dernier sur la plateforme Medium, l’informaticien et physicien britannique rappelle que le Web était pensé comme un « outil pour renforcer l’humanité » avec une suite illimitée « de contenus et de choix ». Mais au cours de la dernière décennie, « plutôt que d’incarner ces valeurs, le Web a plutôt contribué à les éroder ».
Il fait référence à la centralisation à la fois du pouvoir, des contenus et de la créativité, autour d’une poignée de plateformes. Centralisation qui, dit-il, est sur le point d’être amplifiée à cause des nouveaux outils d’intelligence artificielle. Il fait aussi référence à l’appropriation et à la commercialisation de nos données personnelles par ces compagnies, une tendance qui va à l’encontre des valeurs de démocratisation et de renforcement du pouvoir individuel qui allaient de pair avec cette nouvelle technologie d’hyperliens et d’interconnexions.
Et ce n’est pas seulement une question technologique puisque, poursuit-il, notre écosystème numérique tel qu’il est devenu « façonne désormais le paysage géopolitique, guide des changements économiques et influence les vies de gens à travers le monde ».
La centralisation aux mains des plateformes que sont les Google, Amazon et autres Facebook, de même que la commercialisation de nos données personnelles, sont « deux problèmes connectés » l’un à l’autre. Le premier problème « a segmenté le Web, avec cette lutte pour garder l’usager attaché à une plateforme et optimiser les profits à travers une observation passive des contenus » plutôt qu’une créativité étendue.
« Ce modèle d’affaires est particulièrement grave dans cette année d’élections qui pourrait entraîner des troubles politiques. Aggravant ce problème, le second, le marché des données personnelles, a exploité le temps et les données des gens avec la création de profils approfondis qui permettent des publicités ciblées et qui, ultimement, contrôlent l’information que reçoivent les gens. »
Ce n’était pas une évolution inévitable, mais il aurait fallu, pour l’éviter, une volonté politique. En l’absence d’une telle volonté politique pour préserver « des outils au service du bien public », les forces du capitalisme ont fait le reste: un quasi-monopole.
Il existe au moins deux pistes de solution pour revenir en partie à la vision originale du web.
- Des gouvernements qui réglementent ce marché afin qu’il facilite davantage de collaboration et de créativité; ce qui, concrètement, implique de briser ces quasi-monopoles, de la même façon que des gouvernements l’ont fait au 20e siècle avec des compagnies devenues trop grosses. C’est un pas dans cette direction qu’a accompli l’Union européenne avec sa nouvelle législation sur les marchés numériques. Entre autres choses, elle oblige les plateformes à ouvrir leurs portes à des compétiteurs, sous peine d’amendes qui pourraient atteindre 10% de leurs revenus annuels.
- Et des citoyens qui se mobilisent politiquement pour exiger davantage de transparence quant à la façon dont leur vie en ligne est surveillée et utilisée. Cela pourrait prendre, par exemple, la forme d’un espace personnel en ligne —ou « pod » pour personal online-only data store— auquel n’importe quel créateur d’une application pourrait accéder, moyennant la permission de l’usager —plutôt que le statu quo actuel, où une poignée de compagnies contrôlent ces données sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit.
Si cette deuxième piste se réalisait, ce serait, écrit Berners-Lee, un « nouveau paradigme, qui « place l’intention de l’individu plutôt que son attention au coeur du modèle d’affaires ».
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