« Cerveau reptilien » : on en est venu à désigner par ce terme le siège de toutes nos réactions de peur ou d’agressivité, voire de toutes nos impulsions irrationnelles. Le Détecteur de rumeurs a fouillé cette théorie très populaire.
La théorie du cerveau triunique
Comme le rappelle le site de vulgarisation québécois le Cerveau à tous les niveaux, l’existence d’un cerveau reptilien fait partie d’une théorie plus vaste selon laquelle trois cerveaux auraient émergé successivement au cours de l’évolution: le cerveau reptilien associé à la survie, le cerveau limbique associé aux émotions et le néocortex associé au raisonnement. On parle alors du « cerveau triunique ».
La théorie, qui reposait d’abord sur un duo (limbique et néocortex), avait vu le jour en 1949 dans le cadre des travaux du médecin Paul MacLean, raconte le Yale Medicine Magazine. L’étude de patients souffrant de maladies psychosomatiques et d’épilepsie avait convaincu MacLean que la composante émotionnelle de ces troubles était localisée dans des structures profondes du cerveau, qui allaient prendre le nom de cerveau limbique.
Vingt ans plus tard, MacLean ajoutait à son modèle l’idée d’un cerveau reptilien, composé entre autres du tronc cérébral et des noyaux gris centraux. Le cerveau reptilien n’agirait pas en se basant sur les émotions ou sur la raison, mais sur l’instinct.
Selon MacLean, l’évolution du cerveau serait donc un processus additif, où les structures cérébrales complexes sont déposées par-dessus les structures primitives. Le cerveau reptilien serait enfoui sous le cerveau limbique, lui-même recouvert par le néocortex. Et c’est ce dernier qui contrôlerait les fonctions cognitives supérieures comme la conscience, la raison et la logique. MacLean ajoutait que ces cerveaux agiraient de façon indépendante.
Une théorie populaire
La simplicité du modèle de MacLean a contribué à sa popularité, résume l’auteur du Cerveau à tous les niveaux. « S’il frappe tant l’imagination, c’est que le concept de « cerveau triunique » est simple et s’harmonise parfaitement avec une conception très ancienne des trois éléments de base de la nature humaine : la volonté, l’émotivité et la rationalité ». De plus, à première vue, ce modèle a du sens: nos instincts entrent parfois en conflit avec nos émotions et notre raison, rappelait en 2012 le journaliste et auteur Ben Thomas, dans le Scientific American.
Cette théorie permet aussi d’offrir des bases neurologiques au concept du moi, du surmoi et du ça, développé par Freud. En fait, selon des psychologues de l’Université d’État du Michigan, ce modèle est encore présent dans plusieurs manuels de psychologie.
Le concept du cerveau reptilien a même donné son nom à une stratégie utilisée par les avocats au tribunal, mentionne le professeur de droit américain Louis J. Sirico Jr. Ces avocats chercheraient à « stimuler le cerveau reptilien » des membres du jury pour qu’ils réagissent instinctivement à une menace contre eux-mêmes ou leur communauté. Ils seraient alors plus susceptibles de vouloir punir l’accusé.
Dans la vulgarisation scientifique, la théorie de MacLean a été popularisée par Carl Sagan dans son livre Les Dragons de l’Eden publié en 1977, qui a d’ailleurs été lauréat d’un prix Pulitzer.
Une théorie avec plusieurs faiblesses
Malgré sa popularité, la théorie de MacLean a été discréditée par plusieurs experts qui étudient l’évolution du cerveau, soulignent les psychologues du Michigan, Ben Thomas et d’autres. Parmi les points faibles :
1. Les humains ne sont pas les seuls à avoir un néocortex.
Les trois régions décrites par MacLean, y compris celle censée être la plus « récente », le néocortex, sont partagées par tous les vertébrés. Ce sont les proportions et leur étendue qui varient, ont rappelé en 2022 trois chercheurs en psychologie et neurosciences de l’Université Brigham Young, dans une étude sur la façon dont le cerveau réagit aux menaces et aux changements.
Par exemple, la région de Broca, associée à la parole chez l’humain, existe chez les singes, même si elle ne joue pas un rôle dans la communication vocale. L’anthropologue Terrence W. Deacon le soulignait déjà en 1990, dans un article sur l’évolution du cerveau des mammifères.
Même du côté des invertébrés, on a observé ces dernières années que les pieuvres avaient un système nerveux complexe, et qu’elles étaient capables d’accomplir des tâches que l’on aurait cru réservées aux animaux plus « complexes ».
2. Les fonctions du cerveau ne sont pas liées à des zones aussi bien délimitées.
Le cerveau humain n’est pas une série de cerveaux séparés, mais plutôt un tout, remarque Ben Tomas. En effet, les structures du cerveau ne fonctionnent pas de façon indépendante, confirment les chercheurs l’Université Brigham Young. Par exemple, lors d’une réponse émotionnelle, on observe également de l’activité dans le tronc cérébral et le cortex. Il n’y a pas de réseaux purement émotionnels ou purement cognitifs.
De plus, certaines structures normalement associées au cerveau limbique ont d’autres fonctions que la gestion des émotions, comme la position de la tête par rapport à l’axe du corps ou la mémoire spatiale. Les chercheurs de Brigham Young donnent aussi l’exemple de l’hippocampe, une structure du système limbique qui est impliquée dans des processus cognitifs comme la mémoire.
On sait également que les trois systèmes interagissent. Le psychologue américain Daniel S. Levine souligne par exemple que des liens ont été observés entre le cortex préfrontal et certaines régions du système limbique. Cela expliquerait les effets des émotions sur la cognition et le comportement.
3. Il n’existe pas une réelle hiérarchie entre les animaux.
Le modèle de MacLean sous-entend que le cerveau humain serait le summum de l’évolution. Ce que déplorent plusieurs chercheurs, puisque cela suppose une hiérarchie entre les animaux, des plus « simples » aux plus « complexes ». Pourtant, remarquent les chercheurs du Michigan, les animaux ne peuvent pas agir seulement par instinct: ils doivent tôt ou tard prendre des décisions pour s’adapter à des situations particulières.
L’anthropologue Terrence W. Deacon considère d’ailleurs que le modèle de MacLean sous-estime les habiletés des non-mammifères, en particulier des oiseaux. Ceux-ci ont des comportements sociaux, des capacités de communication et des comportements parentaux. Certains oiseaux peuvent même utiliser des outils.
4. Le modèle ne correspond pas à ce que l’on sait de l’évolution.
Le cerveau n’a pas évolué en stades successifs. Penser que de nouvelles structures se sont superposées aux plus vieilles n’a pas de sens, écrivent les chercheurs de Brigham Young.
En effet, l’évolution consiste à modifier des structures qui existent déjà, et non à en ajouter des nouvelles. Tous les animaux continuent d’évoluer à partir d’un ancêtre commun, mais suivent des chemins différents.
Verdict
Le cerveau humain fonctionne comme un tout et non pas comme une addition de structures séparées. Aucun comportement n’est complètement contrôlé par l’instinct, les émotions ou la raison. De plus, tous les animaux partagent des structures cérébrales similaires, mais qui ont évolué de façons différentes.