Les vêtements qui sont fabriqués rapidement et qui passent de mode tout aussi rapidement, avant de terminer leur course à la poubelle, peuvent avoir des impacts majeurs sur l’environnement, polluant l’air avec des GES et remplissant les dépotoirs de produits chimiques qui peuvent se frayer un chemin dans les sources d’eau potable. Des chercheurs du Penn State Smeal College ont toutefois découvert un nouvel modèle d’affaires qui permettrait de réduire cette surconsommation sans peser trop lourd pour les entreprises dans ce monde très concurrentiel.
Les auteurs des travaux ont ainsi constaté que les consommateurs sont prêts à payer davantage pour des vêtements qu’ils peuvent personnaliser et conserver pendant plus longtemps. Ces conclusions, publiées dans le Journal of Operations Management, portent à croire que les compagnies de vêtements qui adoptent un modèle de personnalisation de masse peuvent demeurer profitables tout en réduisant les impacts environnementaux de l’industrie de la mode.
« Ce que nous nous demandons, c’est ceci: comment pouvons-nous trouver une façon d’offrir de la variété, dans les produits, tout en n’augmentant pas les coûts de fabrication de base de façon importante? », mentionne l’un des auteurs de l’étude, Dan Guide.
« L’idée consiste à faire en sorte que les gens ne jettent pas leurs vêtements aussi rapidement qu’ils ont l’habitude de le faire. »
Le professeur Aydin Alptekinoglu, le principal auteur de l’étude, indique quant à lui « avoir utilisé l’hypothèse voulant que le faire d’offrir de la personnalisation pour répondre aux besoins individuels des consommateurs, mais le tout à très grande échelle, pourrait aider à retarder le moment où l’article est envoyé à la décharge ».
« En fait, nous pensons que cette personnalisation de masse peut servir de base pour un nouveau modèle d’affaires, dans le monde la mode, qui serait plus durable et plus rentable. »
Selon M. Guide, la fast fashion fait référence à la façon dont l’industrie de la mode produit des vêtements fabriqués à partir de matériaux synthétiques à base de plastique qui sont peu chers, des matériaux appelés polymères.
Puisque les vêtements sont bon marché et tendent à s’user rapidement, les consommateurs sont davantage portés à les jeter et à en acheter d’autres, plutôt que de tenter de les réparer.
Ces vêtements se retrouvent généralement dans les décharges, et les produits chimiques qui les composent peuvent s’infiltrer dans la nappe phréatique et les cours d’eau souterrains.
« Le gros problème, avec ces fibres artificielles, c’est qu’il s’agit d’un mélange complexe de polymères », indique encore M. Guide. « Il s’agit d’un grand nombre de plastiques différents, que nous ne trions pas efficacement, et donc, ces polymères deviennent trop complexes à recycler et ces plastiques peuvent donc, par exemple, se retrouver dans l’eau potable. »
Rentabiliser le modèle
Toujours selon ce chercheur, en prouvant que les gens paieront davantage pour personnaliser leurs vêtements, les entreprises peuvent compenser en vendant moins de produits pour plus cher, plutôt que de vendre davantage d’unités de vêtements jetables pour moins d’argent.
Les chercheurs précisent aussi que cette solution mise de l’avant a l’avantage de s’appuyer sur une technologie déjà existante. Après tout, des clients peuvent téléverser une photo d’eux en ligne pour essayer des styles de lunettes de soleil, ou encore essayer virtuellement des vêtements, entre autres exemples.
De façon tout aussi importante, lit-on dans l’étude, la capacité de fabrication flexible existe déjà, elle aussi, ce qui permettrait de soutenir cet effort de personnalisation de masse, le tout à grande exemple.
Par exemple, affirme-t-on, l’impression 3D et diverses autres technologies d’automatisation permettent aussi ce type de production unique en série. Le Pr Alptekinoglu dit s’attendre à ce que les conditions économiques liées à ce genre de technologies, « qui s’améliorent constamment », mèneront naturellement l’industrie de la mode vers la personnalisation de masse.
Tests sur le terrain
Pour évaluer ce modèle d’affaires, les chercheurs ont effectué une pré-évaluation, suivi de deux études visant à évaluer les réactions des consommateurs à divers degrés de personnalisation de masse pour des t-shirts.
Au cours de la première étude, 237 étudiants ont reçu comme tâche de se prononcer sur différents aspects de la personnalisation – le design, la fabrication et l’utilisation – et leur impact sur leur volonté d’acheter et de conserver ces chandails à manches courtes.
Les clients pouvaient choisir entre un t-shirt prêt-à-porter produit par la compagnie, ou encore personnaliser leur chandail en sélectionnant parmi une vaste gamme de couleurs et d’images. Et pour une personnalisation encore plus poussée, les clients pouvaient créer leur propre couleur et sélectionner une image à partir d’une liste fournie. Enfin, à l’étape la plus poussée de personnalisation, il était possible de créer à la fois sa couleur et son image.
Dans le cadre de la deuxième étude, les chercheurs se sont concentrés sur un point précis de personnalisation, soit le choix de l’image. Les participants ont été répartis au hasard dans cinq groupes représentant autant de niveaux de personnalisation de ce logo; il a donc été possible d’évaluer, à chaque occasion, le niveau d’enthousiasme à l’idée d’acheter un vêtement de ce genre, mais aussi de le garder plus longtemps dans sa garde-robe.
Et la suite?
Au dire des chercheurs, il y a encore beaucoup de travail à faire.
« Si l’idée de base peut être appliquée à plusieurs autres industries souhaitant offrir de la personnalisation de masse, comme les voitures et les meubles, les structures actuelles de chaînes d’approvisionnement et les dynamiques comportementales des consommateurs, dans ces industries, peuvent varier largement », souligne le Pr Alptekinoglu.
« Et donc, étendre cette idée à d’autres catégories de produits, tout en respectant ces différences, serait quelque chose de très utile. »
L’une des limitations de l’étude est le fait que la plupart des participants sont originaires de l’Occident; de futurs travaux pourraient s’articuler autour de consommateurs provenant d’autres régions du monde.
M. Guide juge qu’il pourrait aussi être utile de faire sortir ces travaux de recherche des laboratoires et de les intégrer dans la vraie vie.
« Je suis habitué de prendre ce que je fais et de l’amener à des entreprises, pour qu’elles me disent ce qu’elles pensent de mes concepts. J’aimerais que nous fassions l’effort d’aller voir des gestionnaires et de leur parler de notre idée. »