Une nouvelle loi européenne qui impose la toute première taxe carbone frontalière au monde entrera en vigueur en octobre prochain, et sera mise en place de façon progressive au cours des trois prochaines années. Mais selon un chercheur de la London School of Economics and Political Science, si cette mesure est saluée sur le Vieux Continent et, plus largement, dans le monde industrialisé, elle pourrait coûter 25 milliards par an à l’économie africaine.
Cette législation, indique David Luke, l’auteur de l’étude, prend la forme d’une taxe carbone. Mais si une forme traditionnelle de cette taxation, qui vise à encourager les entreprises à adopter des méthodes de production moins polluantes, pouvait être contournée en déplaçant, par exemple, des centres de fabrication à l’extérieur du territoire visé (ici, l’Union européenne), comme en Afrique, avant d’exporter les produits vers le Vieux Continent, les législateurs européens ont cherché à se débarrasser de cette faille législative.
En ce moment, il en coûte environ 86 $ américains, sur le territoire de l’UE, pour émettre une tonne de CO2. Selon la nouvelle loi, le prix serait le même pour les importateurs, en fonction des émissions produites par les usines installées à l’étranger.
Cette nouvelle politique s’appliquera aux industries du fer, de l’acier, du ciment, de l’aluminium, des engrais, de l’hydrogène et de la production d’électricité, qui sont généralement particulièrement polluantes et énergivores.
Au dire de M. Luke, toutefois, ce mécanisme est controversé.
Si le Nord est effectivement enthousiaste, tout comme des militants environnementaux, M. Luke soutient que, selon une étude onusienne, les réductions d’émissions polluantes découlant de ce mécanisme d’ajustement lié aux importations « ne représentent qu’une petite partie des émissions mondiales de CO2 ».
Et toujours selon l’auteur des travaux, la nouvelle mesure a été largement critiquée au Sud; des détracteurs jugent qu’il s’agit d’une méthode de protectionnisme industriel qui aura des répercussions négatives sur plusieurs régions, comme l’Afrique.
Beaucoup de taxes, peu d’aide
Dans la nouvelle étude, les auteurs écrivent que les secteurs ciblés sont d’importants piliers de l’économie africaine, et que si la nouvelle taxation est pleinement appliquée, cela équivaudra à réduire le PIB du continent africain de l’ordre de 0,91 %, ou encore 25 milliards de dollars US.
« Pour mettre les choses en perspectives, cela représente trois fois le budget européen pour le développement en Afrique, en date de 2021. Cette année-là, cette somme a atteint 6,8 milliards », écrit M. Luke.
« Nous concluons que cette politique représente un défi important pour l’Afrique. Cela affectera les économies africaines de façon disproportionnée, qu’elles soient petites ou grandes, même si le continent a un poids carbone limité. Mais nous notons aussi que des mesures de ce genre sont là pour rester: ce qui est nécessaire, de la part de l’UE, est une approche différenciée qui donnerait de l’espace aux pays, afin que ceux-ci puissent s’ajuster, en plus d’un financement adéquat », lit-on dans les travaux de recherche.
Toujours au dire de M. Luke, même si l’UE a dit vouloir utiliser une partie des revenus pour aider les pays africains à s’ajuster à la nouvelle mesure, Bruxelles s’est aussi engagée à se servir de cet argent pour financer le développement de nouvelles technologies destinées au Vieux Continent.
Le chercheur déplore au passage que dans tous les cas, si les autorités européennes s’attendent à récupérer environ 1 milliard d’euros avec cette mesure, cela ne permettra pas de compenser les pertes de l’Afrique.
Et face à la volonté européenne de taxer « l’importation » de CO2, d’autres pays envisagent de faire la même chose, que ce soit le Royaume-Uni, l’Inde, ou encore les États-Unis, écrivent les auteurs des travaux.
Face à cette situation, ceux-ci appellent les différents pays du monde à délier les cordons de la bourse et à financement bien davantage la transition énergétique de l’Afrique, « qui ne reçoit que 2 % des sommes destinées au développement de sources d’énergie vertes ».