Sept marionnettes sur pied, plusieurs fausses têtes plus vraies que nature, une multitude d’objets et d’accessoires, des plus grands aux plus petits. Trois marionnettistes et un bruiteur musicien. Tout ce petit monde humain et artificiel déploie un univers narratif douloureux, mais merveilleux, à la fois réaliste et magique, poétique et drôle, hypnotisant et émouvant.
Tous les sens du spectateur sont sollicités dans ce spectacle, y compris son imagination; et l’ensemble fonctionne étonnamment bien. Les marionnettistes sont à la fois manipulateurs des objets et des figurines, mais aussi acteurs, narrateurs, commentateurs. Le musicien s’occupe de l’atmosphère sonore complète, des craquements les plus subtils aux sons les plus puissants : bruits de pas qui s’enfoncent dans la neige, coups de feu des chasseurs, musiques de fêtes ou battement d’ailes d’une oie.
Car l’action se déroule dans une sorte de désert glacé, univers sauvage où les rencontres humaines sont exceptionnelles, un peu moins les rencontres animales.
Nous sommes dans les années 50 au Groenland. La nuit dure quelque chose comme six longs mois. Les loisirs sont rares, la nourriture aussi, le confinement et la solitude immenses. Toutefois, en dépit des tempéraments plus ou moins faciles des uns et des autres, une certaine cohabitation existe et les amitiés se révèlent plus profondes et sincères qu’on aurait pu l’imaginer au départ.
Tous les protagonistes de cette histoire ordinaire aux multiples événements et rebondissements sont des hommes attachants qui font ce qu’ils peuvent pour survivre dans un monde très inhospitalier. À des températures très basses, dans un lieu gigantesque où le bateau de ravitaillement se risque à débarquer seulement une fois par an et seulement si les conditions des glaces le permettent, on ne peut pas dire que la vie soit facile.
Les racontars arctiques sont pourtant remplis d’amour, de joie, de tendresse, de drôlerie. Comme spectateur on est immédiatement propulsé dans l’intimité des tous ces hommes éparpillés qui se côtoient à l’occasion. L’action va bon train. La narration nous fait circuler des marionnettes aux acteurs, des acteurs à leurs commentaires. On voit et on entend tout en même temps. Et le plus étonnant réside dans la fascination qu’exercent sur les sens ces artefacts dont on ne cesse de guetter le moindre geste, la moindre mimique, infiniment plus attractifs que si on observait les mêmes choses sur de vraies personnes.
Étonnantes marionnettes. Certes très bien réalisées, particulièrement soignées et génialement manipulées par les artistes avec toute une mise en scène complexe qui s’inspire du cinéma, dans la mesure où les scènes intimes succèdent aux paysages lointains dans une multitude de changements de décor. Mais au-delà du talent immense de tous les acteurs et concepteurs de ce spectacle, c’est ce plus de l’objet / œuvre d’art qui donne à réfléchir et qui demeure une source de questionnement, quant à sa valeur ajoutée en matière de réflexion et d’émotion, et à son effet quasi hypnotisant.
Racontars arctiques
Texte original : Jørn Riel
Traduction française : Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet
Adaptation : Anne Lalancette (avec la collaboration de Francis Monty, Jérémie Desbiens, Simon Landry-Desy et Alexandre Harvey)
Mise en scène : Anne Lalancette et Francis Monty (avec la collaboration de Jérémie Desbiens, Simon Landry-Desy et Alexandre Harvey)
Racontars arctiques, une création du collectif La ruée vers l’or, en co-production avec le Théâtre de la Pire Espèce
Du 7 au 11 février 2023 au théâtre aux Écuries, à Montréal