Le gouvernement du Québec contribue sciemment, notamment à l’aide d’investissements de plusieurs millions de dollars, au développement de la télémédecine privée, ce qui accélère le transfert de travailleurs et travailleuses de la santé à l’extérieur du système public, au moment même où le réseau souffre d’une grave pénurie de personnel.
Voilà, du moins, les conclusions avancées par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) dans le cadre d’un nouveau rapport publié jeudi.
Selon les chercheurs de l’organisation, les fournisseurs privés de soins virtuels connaissent ainsi « une croissance fulgurante », ce qui menace la stabilité du réseau de santé public. Depuis la pandémie, ce secteur de l’industrie de la santé aurait connu vu leurs dépenses en matière de rémunération pour leurs employés bondir de 200 à 900 %.
« L’augmentation importante des dépenses en rémunération montre que ces entreprises sont engagées dans des opérations de recrutement qui risquent de priver le réseau public de ressources professionnelles précieuses », indique également les auteurs du rapport.
Dans ces services virtuels qui tendent à se privatiser, il faut non seulement compter les services médicaux, soit la télémédecine, lit-on encore dans le document, mais aussi les autres services sociosanitaires fournis en ligne ou par téléphone, que ce soit une consultation avec une infirmière, des services à domicile, ou encore un rendez-vous avec un professionnel de la santé mentale, entre autres exemples.
L’aspect insidieux de la chose, avance l’IRIS, c’est que ces services sont parfois offerts par le privé, mais sont remboursés par le système public. Il existe également d’autres déclinaisons du processus de privatisation, par exemple lorsque les outils de consultation employés par des organisations ou des fournisseurs de services de santé proviennent du privé.
Mais là où le bât blesse franchement, c’est lorsque le public paie effectivement pour les services offerts pour le privé, ou alors quand les malades quittent carrément le réseau étatique pour aller payer de leur poche.
« Contrairement à une idée largement reçue, le développement d’une offre privée de soins de santé, loin de désengorger le système public, menace l’accès aux soins pour les personnes les plus vulnérables ayant les besoins de santé les plus importants et risque ainsi d’aggraver les iniquités en santé », souligne Anne Plourde, chercheuse à l’IRIS et autrice du rapport.
Car les travailleurs de la santé, en constant qu’ils peuvent exercer au privé et recevoir un salaire équivalent, voire supérieur à ce qui est offert au public, sans avoir à subir les nombreux problèmes qui grèvent le réseau, peuvent effectivement être tentés de quitter les hôpitaux surchargés et les cliniques en pénurie de personnel pour se tourner vers le privé.
Quand le public finance le privé
Autre aspect inquiétant aux yeux de l’IRIS, ces services de santé virtuelle privés ont reçu un financement conséquent de la part de l’État québécois : la Caisse de dépôt et placement du Québec a ainsi investi 14 millions de dollars dans Dialogue, l’une de ces entreprises privées. Cette dernière a aussi reçu deux millions de la part d’Investissement Québec, en 2019. Et l’année précédente, le gouvernement québécois lui offrait, lui aussi, deux millions de dollars.
L’entreprise AlayaCare aurait aussi reçu « des dizaines de millions » de la part de ces trois partenaires étatiques.
Et le financement serait aussi important à l’échelon fédéral, via l’organisme à but non lucratif Inforoute Santé du Canada.
« L’État a adopté des lois comme la Loi canadienne sur la santé et la Loi sur l’assurance maladie pour protéger le système public et limiter le développement d’un marché privé de la santé. En jouant un rôle important dans la l’émergence de l’industrie canadienne de la télésanté privée, les gouvernements fédéral et provincial manquent de cohérence », estime encore Mme Plourde.
Cette dernière souhaite ainsi que Québec et Ottawa clarifient les imprécisions concernant le financement des services privés de télémédecine, histoire de colmater les brèches existantes.