Qui aurait cru qu’une pièce de théâtre documentaire sur Hydro-Québec mènerait à des applaudissements à tout rompre de la part de plus de 1000 personnes au théâtre Maisonneuve? Qui aurait cru qu’un projet un peu fou lancé il y a une décennie ferait en sorte que l’on voudrait s’enfermer pendant presque quatre heures pour entendre parler de barrages, d’énergie hydro-électrique et de construction sociétale? Et pourtant, Christine Beaulieu l’a fait avec J’aime Hydro.
Sur scène, en compagnie de ses deux collègues, Mathieu Doyon et Mathieu Gosselin, la comédienne devenue non seulement, avec les années, fort versée dans le domaine de la production d’énergie hydro-électrique, mais aussi militante en faveur d’une autre façon d’assurer le fonctionnement de notre société sans constamment s’en remettre à la construction de coûteux et polluants barrages, propose une forme de théâtre peu répandu : le théâtre documentaire.
Nous ne sommes pas, ici, dans la version romancée d’une histoire vraie, comme Pétrole, où l’on soulevait certes des enjeux environnementaux, mais dans une version condensée, si l’on veut. Il faut bien rendre la chose digeste sur une scène, après tout! Mais Mme Beaulieu, elle propose quelque chose de différent : une sorte d’accompagnement du public, pas-à-pas, non seulement au travers des dédales administratifs de la société d’État, mais aussi à travers la vie de la comédienne elle-même. Les deux sujets semblent bel et bien être étroitement liés, et sans certains « rebondissements scénaristiques » chez Mme Beaulieu, il y a fort à parier que J’aime Hydro n’aurait pas vu le jour, du moins dans sa version actuelle.
Il faut également souligner que la déclinaison épisodique de l’oeuvre, dont les premières parties ont été présentées au fil des ans, à mesure que « l’histoire » progressait, permet de se lier davantage à la protagoniste et d’espérer, ultimement, qu’elle puisse répondre à une question qui est bien plus complexe qu’elle n’y paraît.
Et quelle est-elle, cette question, après tout? Sur papier, Mme Beaulieu cherche à savoir pourquoi le gouvernement du Québec et Hydro-Québec sont allés de l’avant avec la construction des barrages sur la rivière Romaine, auparavant l’une des dernières rivières sauvages du Québec, si le prix de production de son électricité est bien plus important que le prix de vente sur le marché québécois.
Pourtant, le questionnement est plus important : quelle société voulons-nous construire pour les Québécois? Une province où nous détruisons peu à peu notre environnement au nom de « l’expertise » en construction de barrages? Où l’on peut se permettre de gaspiller les fonds publics et notre énergie parce que cette électricité est peu chère… mais dont les coûts sont justement liés aux dépenses de l’État? Ou voulons-nous penser à l’avenir, à un monde d’énergie solaire, d’efficacité énergétique et de transformation de notre mode de vie pour non seulement s’adapter aux changements climatiques, mais aussi sortir du modèle de surconsommation qui est le nôtre?
Une maîtrise sans faille
Tout cela, Christine Beaulieu et ses acolytes s’y plongent sans regarder en arrière. Et d’une façon qui réussit à ne pas prendre le public de haut, tout en évitant de le prendre aussi pour un idiot. Cela est notamment imputable au naturel désarmant de la comédienne, mais aussi, on peut l’imaginer, à un gigantesque travail de rédaction et de structure pour rendre le tout digeste. Car n’est pas vulgarisateur qui veut, surtout lorsque l’on mêle sa propre vie au sujet sur lequel on travaille pendant plusieurs années.
Et voilà donc où nous en sommes : 3h40 avec entracte, avec peut-être quelques légères longueurs au début, mais ces temps morts sont principalement imputables au fait que l’on se retrouve assis et immobiles sur un siège pendant tout ce temps, ou à peu près.
Autrement l’oeuvre est magistrale : non seulement s’agit-il d’une ode à ce qui est encore, avec raison, l’objet d’une fierté nationale, mais, aussi, ce qui pourrait être un héritage qui s’effrite peu à peu, après une série de mauvaises décisions, comme l’abandon du moteur-roue ou la frilosité du côté de l’efficacité énergétique.
Ce que J’aime Hydro met surtout de l’avant, ultimement, c’est l’urgence de prendre des décisions pour le bien collectif, dans une perspective d’avenir teintée par un climat qui change, mais aussi par des évolutions technologiques qui pourraient bien, un jour, reléguer nos gigantesques ouvrages en béton aux livres d’histoire. Et il nous est impossible de nous enfouir la tête dans le sable et d’éviter de prendre une décision. Car nous sommes quelque chose comme un grand peuple.