Comme si le tumulte de la bataille n’était pas suffisamment et horriblement bruyant, les humains ont, à travers les époques, découvert de nombreuses façons d’exploiter le son dans le contexte d’un conflit. Et certaines méthodes servent encore aujourd’hui, indique Adrienne Mayor, une spécialiste de l’histoire ayant récemment publié un livre intitulé Greek Fire, Poison Arrows, and Scorpion Bombs : Unconventional Warfare in the Ancient World.
Durant l’Antiquité, rapporte la chercheuse, les chevaux utilisés par la cavalerie étaient entraînés pour endurer la musique perçante des flûtes et autres trompettes qui servait à guider les armées vers la bataille. Mais l’inversion avisée de cet entraînement pouvait ouvrir la voie vers la victoire.
Au septième siècle avant notre ère, les habitants de Cardia de Thrace, qui vivaient dans ce qui est aujourd’hui le nord-ouest de la Turquie, étaient renommés pour leur cavalerie. À des fins de divertissement, les soldats à cheval apprenaient à leurs chevaux à danser au son des flûtes et trompettes lors de soirées arrosées.
Un prisonnier capturé dans son enfance, Naris, a entendu parler de cette histoire de chevaux dansants et, à l’aide d’une musicienne, a fini par mener son armée contre les habitants de Cardia, et surtout contre leur cavalerie. Lorsque la musique flûtistes de Naris a commencé à résonner, les cheveux de Cardia se sont levés sur leurs pattes arrière pour commencer à danser, renversant leurs cavaliers. Dans le chaos qui résulta de cette manoeuvre, les habitants de la Bisaltie, dirigés par Naris, ont remporté la victoire.
De la musique contre des blindés vivants
Si les cavaliers des temps anciens avaient habitué leurs chevaux au bruit des armes en bronze, lorsqu’au quatrième siècle, les successeurs d’Alexandre le Grand ont rapporté des éléphants de guerre en provenance d’Inde, les barrissements des animaux ont fait paniquer les chevaux.
Alexandre avait appris, de la part du roi Porus, lors de sa campagne en Inde, en 326 avant notre ère, que les éléphants entendaient bien mais voyaient mal, ce qui les rendaient sensibles aux sons discordants et inattendus. Lorsque les éclaireurs d’Alexandre ont rapporté que des éléphants s’approchaient, Porus a conseillé aux cavaliers du conquérant grec d’emporter des cochons et des trompettes avec eux pour aller à la rencontre de l’ennemi. La combinaison de ces bruits stridents a fait fuir les pachydermes.
En 280 avant notre ère, les Romains ont rencontré des éléphants de guerre pour la première fois, ceux-ci ayant été menés jusqu’en Italie par le roi grec Pyrrhus. Les équipages de ces animaux imposants ont créé un tintamarre en cognant des lances les unes contre les autres, faisant paniquer les chevaux romains… et leurs cavaliers.
Mais les Romains ont constaté que les éléphants de Pyrrhus étaient énervés par les cris aigus des cochons. Comme Alexandre, les Romains ont utilisé des porcs pour faire paniquer les pachydermes de Pyrrhus, contribuant à ses lourdes pertes. Plus tard, en 202 avant notre ère, les sons des trompettes de guerre romains ont fait paniquer les éléphants de guerre du général Hannibal, qui avait lancé une invasion depuis Carthage, lors de la bataille de Zama, ce qui a mis fin à la Deuxième Guerre punique.
Certains commandants ont tenté de mettre la main sur un éléphant ou deux pour conditionner leurs chevaux avant une bataille. Persée de Macédoine s’est préparé à une attaque romaine avec des éléphants de guerre, en 168 avant notre ère, en faisant construire des répliques en bois des pachydermes, à l’intérieur desquels des musiciens faisaient retentir de grands bruits, habituant les chevaux macédoniens à la vision et au son des éléphants. Mais tout cet entraînement n’aura servi à rien. Même si le terrain montagneux où a été livrée la bataille de Pydna a permis d’avoir l’avantage sur les 20 éléphants romains, les forces de Rome ont malgré tout triomphé.
Cris de guerre et armes bruyantes
Lâcher un cri sanguinaire a toujours été une façon de semer la terreur chez l’ennemi, rappelle Mme Mayor. L’histoire ancienne et moderne regorge de ces descriptions de bruits, cris et autres combinaisons des deux qui visaient à faire peur avant de l’ancer l’assaut.
En Allemagne, à l’époque romaine, par exemple, les tribus germaniques avaient un chant de guerre qui prenait peu à peu de l’ampleur à mesure que les hommes plaçaient leur bouclier devant leur bouche pour intensifier la réverbération du son.
Les Celtes, eux, possédaient de longs et fins instruments de musique en bronze qui s’évasaient à son extrémité pour prendre la forme de la gueule d’un dragon, d’un sanglier ou d’un loup. Les tonalités fortes et lugubres de l’engin « évoquaient le tumulte de la guerre », écrivit-on vers 50 avant notre ère. Cet instrument sera d’ailleurs utilisé plus tard par les Romains eux-mêmes.
En Asie, des « flèches sifflantes » ou « hurlantes » suscitaient la peur chez l’ennemi, surtout lorsque le combat était déjà en cours. Les chevaux ennemis étaient eux aussi terrifiés par ces bruits sinistres.
Chez les Chinois, la poudre à canon servait aussi à alimenter certaines de ces technologies bruyantes et sonores.
Le son, encore utilisé
L’utilisation des bruits dans un contexte de guerre ne date pas d’hier, mais la musique ou les sons très puissants ont encore leur place, de nos jours, dans les arsenaux des diverses nations.
Ainsi, durant la Deuxième Guerre mondiale, la musique a servi à empêcher l’autre camp de dormir, ou à générer de l’anxiété. Plus récemment, l’armée américaine a fait retentir du rock assourdissant, jour et nuit (y compris les Doors, Alice Cooper et The Clash) lors du siège du refuge de Manuel Noriega au Panama, en 1989.
Durant les années 2000, les Américains ont de nouveau utilisé de la musique très puissante, en Irak et en Afghanistan.
Mais ce n’est pas seulement sur les champs de bataille que la musique sert d’arme. Dans les centres commerciaux, on tente d’éloigner les adolescents flâneurs en faisant jouer du classique et des sons sur des fréquences imperceptibles par des personnes plus âgées. En 2022, la police australienne a utilisé la musique de Barry Manilow pour disperser une foule de manifestants antivaccin contre la COVID-19.
De façon un peu plus inquiétante, le développement d’armes sonores suit son cours, généralement à des fins de contrôle de populations civiles. Des chercheurs aux États-Unis, mais aussi en Israël, en Chine et en Russie ont tous annoncé des moyens « non-létaux » permettant d’envoyer de fortes pulsations conçues pour attaquer les sens.
Et il ne faut pas non plus oublier, rappelle Mme Mayor, ce fameux « syndrome de La Havane », en vertu duquel des employés consulaires américains et canadiens auraient subi des « attaques » qui auraient provoqué des dégâts neurologiques ou cérébraux.
De l’intimidation, les objectifs de l’utilisation de sons et de bruits dans un contexte d’affrontement seraient passé aux véritables impacts physiques tout à fait perceptibles.