Les scandales ont souvent la cote. On se les arrache parce que l’être humain a malgré lui une fascination pour ce qui met de travers. Histoire d’horreur moderne si elle en est une, celle du scandale de Norbourg est loin d’être drôle pour ses victimes. C’est donc dans ce désir de rectification de la justice (qui a failli à sa tâche, ici) que le plus récent film de Maxime Giroux s’intéresse à cette magouille qui a coûté très cher à bien des gens.
Délaissant sa poésie habituelle, qui a probablement atteint son paroxysme avec La grande noirceur, le cinéaste Maxime Giroux renoue avec notre époque en se montrant plus terre à terre que jamais en y mêlant une autre de ses fascinations : le côté sombre. Il déclare d’emblée que le monde des finances l’intéresse fort peu, ce qui permet certainement de mieux comprendre pourquoi son film, qui se contente de mettre en images les faits, a également bien peu d’intérêt pour les expliquer ou aller au-delà des événements.
Exit la vulgarisation de The Big Short, on est davantage dans le ressenti et, comme c’est le cas dans la majorité des œuvres du scénariste, tout comme du réalisateur, on braque continuellement le regard sur ses personnages.
Le hic, c’est que le film est continuellement pris entre deux désirs. Celui de créer une œuvre artistique de qualité, et celui de faire un film grand public aussi rassembleur que choquant. Si le résultat n’est pas sans un degré évident de réussite, il passe bien loin de passer à l’histoire, à l’inverse de son sujet, tellement il finit par être un peu fade, à l’image des teintes grisonnantes de cet univers foncièrement frigide qui est dépeint.
La technique assure, pourtant. On y retrouve deux des magiciens qui ont permis d’offrir l’un des plus beaux films de l’an dernier, tout comme l’un des plus beaux films québécois des dernières années : Les oiseaux ivres. La présence de Sara Mishara n’est par contre pas fortuite; elle s’occupe des images de Giroux depuis ses débuts et continue de le suivre dans toutes ses propositions. Sa justesse magnifie encore le regard de chaque plan tirant le meilleur des éclairages, mais surtout des cadrages qui ajoutent une beauté souvent insoupçonnée dans la banalité de ces environnements urbains qu’on connaît pourtant par cœur.
C’est plutôt Philippe Brault qui fait office de nouveau venu, mariant le côté mélodique et fortement orchestral de ses compositions au film pour y ajouter un énorme sentiment de grandeur à l’atmosphère générale du long-métrage. Si les mélodies sentent toutefois la redites sur ses propositions antérieures, elles contribuent néanmoins grandement à l’élégance notable de la production.
On se surprend par contre du rythme souvent effréné qui s’affiche régulièrement, à l’instar d’une course contre la montre, principalement lors des captivantes scènes d’enquête, où la rigidité de Christine Beaulieu aura rarement paru aussi nécessaire. Habitué des scénarios qui étirent le temps souvent jusqu’à donner l’impression de le suspendre (ceux qui ont vu Laurentie se rappellent habituellement de cette expérience fort singulière, toutefois pas étrangère au cinéma de confrères et consœurs européens come Béla Tarr et Chantal Akerman), Simon Lavoie pond quelque chose qui va bien plus vite que ceux qui le vivent ont le temps de le réaliser.
Cette adaptation libre, davantage dans le ressenti, ne cherche pas non plus à se marier avec la réalité. Les interprètes sont donc choisis bien plus pour leur charisme respectif que leur ressemblance. Ainsi, François Arnaud cabotine avec bonheur dans le rôle de Vincent Lacroix, ce charmeur probablement trop au-dessus de ses affaires, alors que la lâcheté naïve de Vincent-Guillaume Otis sied très bien l’enquêteur Éric Asselin.
On s’explique par contre beaucoup plus difficilement les parallèles avec le christianisme que le film semble tenter d’établir, avec des notions comme le dernier repas et la trahison de Judas.
Avec cette condamnation effectuée avec parcimonie qui essaie quand même brièvement de justifier les actes, le film ne parvient pas tout à fait à établir sa vision sur le sujet et se perd un peu dans ses thématiques. L’économie de personnages donne droit à des coins qui semblent souvent se couper un peu trop rond, alors que le personnage de la femme de Asselin en prend pour son rhume et que de résumer les victimes presque exclusivement par celui de M. Trudel finit par relever de l’insuffisance, dans ce désir de prioriser une vue globale de la chose.
Norbourg apparaît donc comme une transposition cinématographique efficace, un peu comme l’était Mafia Inc., sans atteindre le brio de L’affaire Dumont, tout en aspirant au lyrisme de Polytechnique. En évitant les pièges préconstruits des biopics à vocation beaucoup plus populaire, on se permet aussi de faire la part belle au septième art, sans nécessairement le transcender. Il ne faut toutefois pas s’attendre à y apprendre quoique ce soit de nouveau.
7/10
Norbourg prend l’affiche en salle ce vendredi 22 avril.