Une nouvelle étude remet en question la théorie économique et politique conventionnelle voulant que la transition d’un mode de vie s’articulant autour de la chasse et de la cueillette vers l’agriculture ait alimenté le développement de sociétés hiérarchisées complexes en créant des surplus agricoles dans des régions fertiles. Les chercheurs estiment plutôt que c’est la capacité de taxer la culture des céréales qui fut l’élément déclencheur de l’apparition des grandes civilisations antiques.
Dans ces travaux publiés dans le Journal of Political Economy, les professeurs Joram Mayshar, Omer Moay et Luigi Pascali affirment que la forte production agricole, en elle-même, ne mène pas au développement d’État capables de taxer ses citoyens, et donc capables de mettre en place des institutions durables.
Selon eux, c’est donc la culture des céréales qui est le facteur principal derrière l’émergence de la hiérarchie sociétale. En effet, ces céréales doivent être récoltées et stockées dans des endroits accessibles, ce qui facilite leur taxation, comparativement à des légumes racines et des tubercules, par exemple, qui demeurent dans le sol, et dont le stockage est moins facile.
En s’appuyant sur des données couvrant plusieurs millénaires, les chercheurs disent avoir démontré un effet de causalité entre la culture des céréales et l’émergence de sociétés hiérarchisées; un tel lien ne semble pas exister avec la productivité agricole.
Selon le Pr Mayshar, « une théorie liant la productivité des sols et les surplus agricoles avec l’émergence de la hiérarchie a été développée au cours des siècles et fait office de convention dans des milliers de livres et d’articles. Nous démontrons, à la fois théoriquement et empiriquement, que cette théorie est erronée ».
Pour étayer leur argument, les trois chercheurs ont évalué des données portant sur la complexité hiérarchique des sociétés, la distribution géographique des versions sauvages de plantes domestiquées, et la compatibilité des plantes dans diverses régions, pour déterminer pourquoi, dans certaines parties du monde, malgré des milliers d’années d’exploitation agricole réussie, des États fonctionnels ne sont pas apparus, alors que des États qui pouvaient taxer et protéger des terres et les propriétés s’y trouvant ont pu se développer ailleurs.
Comme l’explique le Pr Pascali, « nous avons pu démontrer que les hiérarchies complexes, comme les royaumes et les États, ont pu se développer dans des zones où les céréales, qui sont faciles à taxer et à s’approprier, étaient de facto les seules plantes cultivées. Paradoxalement, les terres les plus fertiles, où on faisait pousser des céréales, mais aussi des légumes racines et des tubercules, n’ont pas eu droit aux mêmes développements politiques ».
De fait, disent les spécialistes, la théorie voulant qu’il soit d’abord nécessaire d’accumuler des surplus alimentaires, en raison de la productivité des terres, pour ensuite obtenir des revenus et développer une société complexe, est caduque. Car, affirment-ils, les dirigeants de sociétés hiérarchisées pouvaient plutôt directement taxer les récoltes et en récupérer une partie, même sans surplus alimentaires, ce qui faisait que la population était peut-être moins importante, mais qu’il y avait tout de même des surplus de céréales, et donc des biens à échanger ou vendre.