Connus pour leurs disques (et leurs styles) sortant de l’ordinaire, les gars de King Gizzard and the Lizard Wizard semblent avoir atteint un autre niveau, avec Made in Timeland, un EP d’une trentaine de minutes qui non seulement vient casser les codes d’un groupe pourtant déjà particulièrement éclaté, mais qui donne aussi l’impression d’embarquer pour un voyage cosmique, sans l’envie de manger des croustilles par la suite.
D’abord, qu’est-ce que Made in Timeland? Les amateurs de KGLW, particulièrement ceux qui se tiennent sur la sous-section de l’agrégateur Reddit consacrée à la formation australienne, aiment bien s’engager dans des discussions à n’en plus finir sur la signification de certains messages envoyés par les membres du groupe. Et ce dernier, bien content de mousser sa popularité, semble s’amuser à faire courir des rumeurs.
Pressenti comme un album complet, Made in Timeland s’est finalement matérialisé sous la forme d’un duo de pistes d’une quinzaine de minutes chacune. Autre particularité: à moins de mettre la fin sur l’un des vinyles au tirage très limité, impossible de télécharger ou d’acheter ce mini-album en ligne. KGLW, pourtant particulièrement généreux en matière de disques offerts en format numérique et sur Bandcamp, a choisi de ne pas respecter cette « tradition », cette fois. Pire encore, des codes de téléchargement précédemment offerts ont fini par ne plus fonctionner. Bref, Made in Timeland a des allures d’album maudit, ou plutôt de rareté que l’on s’échangera pour plusieurs centaines de dollars pièce.
Fort heureusement, une bonne âme a choisi de partager sa copie sur internet, et connaissant, paradoxalement, la tolérance du groupe envers les copies illégales et les bootlegs de tout acabit, il y a fort à parier que cet objet sonore tripatif demeurera disponible pendant longtemps.
Et la musique, elle? Eh bien, l’expérience musicale de Made in Timeland s’approche de l’indescriptible. Il serait tentant de s’arrêter là, mais cette critique serait alors passablement inutile.
Si les gars de KGLW avaient déjà donné dans le rock, dans la pop, voire dans le thrash metal et dans un mélange de disco et d’électronique (oui, nous parlons ici d’Intrasport), voilà que l’on plonge dans quelque chose qui combine, en quelque sorte, l’électronique d’Archive et les rêveries éthérées de… de qui, au juste? Le rythme évoque pratiquement du R&B, toujours avec un battement de la mesure qui rappelle le cliquetis du mécanisme d’une horloge.
Voilà aussi, au détour de la 13e minute, des sonorités que l’on pourrait croire tirées d’On the Run, l’une des pièces phare de l’album The Dark Side of the Moon, de Pink Floyd.
D’un extrême à l’autre, d’un style à un autre, la musique de Made in Timeland se transforme, se complète, se module, mute. Sorte d’expérimentation déjantée sortant du cadre, exploration d’un univers multicolore et multisonore, ce mini album ne dure que 30 minutes, mais semble s’étirer sur toute une éternité. L’ensemble est si complexe, en apparence si hétéroclite, que l’on serait d’abord bien en mal de s’orienter.
Pourtant, les membres de KGLW s’y retrouvent, eux, et s’assurent de nous mener à bon port, à travers les eaux souvent houleuses d’une musique transfiguratrice.
Écouter une seule fois cet album ressemble à quelque chose comme une hérésie. Non seulement faudra-t-il retourner souvent dans cet univers, histoire d’y trouver nos marques, mais on prend rapidement goût aux effets éphémères de cette musique. De quoi développer une dépendance, il va sans dire.
Il serait difficile de décrire Made in Timeland comme étant le « meilleur » disque de King Gizzard and the Lizard Wizard. Tout d’abord, parce que ce titre revient fort probablement à Polygondwanaland, mais aussi parce que cet EP sort à un point tel des sentiers battus qu’il vaut sans doute mieux le catégoriser comme une expérimentation musicale aux effets insoupçonnés. Un titre étrange, il est vrai, pour un groupe aussi audacieux que KGLW, mais une réalité à laquelle il faut se résilier.
Made in Timeland occupe donc une place à part dans le panthéon musicale du groupe australien; une oeuvre majeure, mais sortant aussi à un point tel de l’ordinaire qu’elle échappe à la logique traditionnelle.
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