Dans Ulster American, présenté à La Licorne, rendez-vous est pris entre un acteur très en vue à Hollywood, un metteur en scène ambitieux et une jeune autrice montante pour célébrer leur contrat en vue de préparer une pièce qui se jouera bientôt à Londres. Les répétitions démarrent dès le lendemain matin. Tous les ingrédients sont réunis pour que l’œuvre, une fois montée, profite à la carrière déjà bien engagée des trois.
Dans l’appartement cossu du metteur en scène, les deux hommes discutent autour d’un verre en attendant la jeune femme brillante qui a un peu de retard. Très dans l’air du temps, les propos se portent sur l’horreur d’user du mot en n, sur le merveilleux combat des femmes dans leurs multiples revendications et sur la quasi-bassesse qu’il y a d’être à la fois homme, blanc et hétérosexuel comme ils le sont tous deux. Encore, admettent-ils, qu’ils ne soient coupables de rien. Quoi qu’il en soit, les deux hommes s’efforcent à tout prix d’être de bonnes personnes tout en accusant quelques petits dérapages verbaux involontaires, mais somme toute assez innocents; disons plus bêtes que méchants.
L’autrice arrive enfin. Elle est jeune, belle, intelligente. Elle admire depuis toujours l’acteur qui tombe instantanément sous son charme. Pourquoi ne pas viser Broadway voir un film signé Tarentino? Les choses se présentent vraiment bien pour le trio et la pièce en gestation, et semblent même pouvoir dépasser leurs très hautes aspirations.
Signée David Ireland (dans une traduction de François Archambault), Ulster American, présentée à La Licorne, est totalement savoureuse dans ses dialogues et d’une construction impeccable. La mise en scène est bien relevée, les trois acteurs excellents, c’est un pur régal.
On rit du début à la fin. Et l’humour, qui porte d’abord sur les épuisants efforts de certains pour adopter les opinions dominantes, se métamorphose progressivement en un humour grinçant puis carrément noir, mais toujours efficace.
Que s’est-il donc passé pour que les choses tournent ainsi au vinaigre sans que personne n’ait rien vu venir? C’est que chacun des protagonistes est campé dans sa posture identitaire de manière totalement figée, sans souplesse ni légèreté. L’acteur – qui ne connaît rien à son histoire personnelle et n’a jamais mis les pieds en Irlande – se veut Irlandais et catholique, l’autrice née en Irlande du Nord est protestante et se revendique British, mais cette identité british, le metteur en scène la lui dénie lui qui se sent seul en droit d’être labellisé sujet du royaume britannique au sein de l’Europe qu’il n’aurait jamais dû quitter.
À cela s’ajoute les ignorances et les petites susceptibilités en lien avec l’idéologie dominante qui entrainent des contradictions en lien avec ces opinions forcées. On arrive à un mélange explosif dans lequel, finalement, le sexe fort ne se retrouve pas du côté où on l’aurait attendu, au départ…
Ulster American
Production La Manufacture
Texte David Ireland
Traduction François Archambault
Mise en scène Maxime Denommée
Avec Frédéric Blanchette, David Boutin et Lauren Hartley
Du 19 octobre au 13 novembre 2021 à La Licorne