Ce sont deux disciplines que tout séparait il n’y a pas si longtemps, et que les progrès technologiques sont en train de rapprocher: aux frontières de l’archéologie et de la génétique, voici l’archéogénétique.
Deux décennies après le premier pénible décodage d’un génome humain —qui avait nécessité plusieurs années de travail— ce n’est plus seulement la cadence à laquelle on peut en décoder un qui impressionne, mais la cadence à laquelle on peut décoder ceux vieux de quelques siècles, voire quelques millénaires. C’est ainsi qu’est né le projet « 1000 Ancient Genomes » qui vise à créer un « catalogue » des variations génétiques des humains qui peuplaient l’Europe et l’Asie, il y a 1000 à 50 000 ans. Il s’agit du plus ambitieux des projets de reconstructions des génomes historiques et préhistoriques à ce jour, dirigé à l’Institut Francis Crick de Londres.
Les informations qu’on peut en retirer font saliver les archéologues, mais les rapprochements entre les deux disciplines ne se font pas sans heurts. Au-delà des expertises très différentes des uns et des autres, même le choix des mots n’a pas toujours le même sens, rappelle Alice Roberts dans le New Scientist: « migration » signifie par exemple, pour un archéologue, quelque chose de dramatique. Un déplacement de population délibéré et à grande échelle qui a des conséquences visibles et parfois rapides sur la culture ou le mode de vie. Alors que pour un généticien, ça signifie quelque chose de très clinique: de nouvelles personnes ont simplement eu des enfants qui sont, génétiquement, légèrement différents de leurs prédécesseurs.
Or, des concepts qui sont compris différemment peuvent conduire à des interprétations différentes de ce qui s’est passé à une époque donnée. La génétique peut même apporter des informations inédites sur ce qui s’est passé à une époque donnée, au point de faire grincer des dents aux archéologues qui n’en avaient vu aucune trace jusque-là.
Pour que les deux disciplines « fusionnent », résume Roberts, il leur faudra donc comprendre le regard de l’autre et l’accepter comme étant tout aussi valable que le leur. Un travail plus difficile qu’il n’y paraît pour des experts qui ont des méthodes différentes et — dans le cas des archéologues — une longue histoire derrière eux. Mais il n’y aura pas de retour en arrière: comme le fait remarquer un des chercheurs du projet 1000 Ancient Genomes, « vous auriez du mal à trouver aujourd’hui un cours d’archéologie qui ne parle pas d’ADN ancien ».