Les créateurs mettent toujours un peu du leur dans leurs œuvres. La cinéaste Miryam Bouchard a sauté à pieds joints dans ses souvenirs pour son premier long-métrage « très très librement inspiré » de sa vie après une feuille de route aussi impressionnante que chargée. Dommage que comme bien d’autres qui s’y sont frottés, sa proximité avec le sujet parvient autant à relever ses qualités que ses défauts, créant une œuvre souvent trop lisse et gentille, plutôt que le coup au cœur qu’elle aurait véritablement dû être.
Peut-être est-ce à cause de sa longue expérience avec le documentaire, mais Miryam Bouchard adore s’intéresser aux autres et principalement à ceux auxquels on ne porte pas nécessairement d’attention. Si c’est le cas dans la récente télésérie maintes fois primées M’entends-tu?, dont elle a signé la première saison, ça l’est aussi avec son premier film, Mon cirque à moi, dont le titre ressemble à un autre de ses projets, la télésérie Mon ex à moi.
Sans plonger dans la même folie que la série qui mettait en vedette une Sophie Desmarais déchaînée, Mme Bouchard présente un film au classicisme assumé qui rêve de liberté, oui, mais surtout de bonheur, s’interrogeant constamment sur sa nature et sur l’équilibre des choses, s’il est mieux de se trouver une constance ou de s’assurer de sortir continuellement des sentiers battus.
Non loin des procédés habituels du coming-of-age, le film a la spécificité toutefois d’utiliser l’enfant non pas pour grandir lui-même, mais pour faire grandir les adultes autour. Une thématique qu’on a vu régulièrement pour le meilleur et le pire, mais qui fonctionne assez bien ici. C’est que les retrouvailles des accomplis Patrick Huard et Sophie Lorain depuis Maman Last Call ne sont pas hasardeuses et les pôles du père et de la mère autant génétique que de substitution ont leur lot de trouvailles pour constamment bien nourrir l’univers du film.
Comme quoi la jeune Laura n’est pas étrangère à la Paula de La famille Bélier, tout en se sentant attachée et dépendante à son propre monde, sa famille, elle rêve néanmoins d’un ailleurs et, un peu, de mieux. C’est l’éternelle thématique de l’adolescence oui, mais adapté à quelque chose de plus terre-à-terre. Comme quoi Laura est dévouée et curieuse et, du même coup, certainement plus attachante que la Juliette de Jeune Juliette dont son physique était utilisé pour excuser sa méchanceté et son égocentrisme.
Ce n’est pas le cas de notre protagoniste qui s’efface régulièrement, toujours prête à prioriser les autres et culpabilisant lorsqu’elle a soudain ses propres envies et désirs. De nature raisonnable, c’est son attachement à ce à quoi elle appartient qui nous aide à croire à cet univers un peu fou de nomades qui n’est décidément pas toujours en accord avec les conventions du monde d’aujourd’hui. Si elle est parfois hésitante, Laura n’a jamais peur de dire qui est son père et ce qu’il fait, il n’est jamais question ici de renier sa vraie nature ni d’où elle vient, ce qui rend le tout certainement rafraîchissant.
Par contre, dans ces oppositions entre la frivolité et la froideur de notre époque, c’est là où le film finit par être trop simpliste et malheureusement insuffisant. Nageant constamment en zones grises et ne cherchant jamais trop à juger facilement (bien que certaines prises de positions sont quand même plus directes), le film patauge un peu trop aisément à la fois sur son récit en soi, mais aussi sur ses obstacles. Bien qu’on apprécie qu’on ne s’attarde pas nécessairement sur trop de points inutiles ni qu’on s’acharne sur d’autres, tout se passe toujours un peu trop facilement. Le segment judiciaire par ailleurs est plus ou moins nécessaire ou utile, bien qu’il serve ici et là pour quelques déclarations émotionnelles senties.
De plus, la majorité des comédiens ont droit à leurs moments touchants et à leur inévitable tendresse, mais le jeu est souvent inégal, comme pour Huard qui, ironiquement, est toujours le moins convaincant quand il est censé être clown et possiblement irrésistible. On le trouvait plus drôle et rassembleur dans Guibord s’en va-t-en guerre, disons. Par contre, outre la révélation un peu plaquée, difficile de résister à Sophie Lorain, comme toujours l’exemple idéal de sévérité et de douceur, de réconfort.
Au reste, n’en déplaise aux images lumineuses de Ronald Plante, on regrette que le film ne se soit pas davantage amusé avec la forme, avec le reste. D’abord épisodique par ce montage qui brise le tout par du noir, il est aussi immensément classique dans sa façon de construire son histoire, de la raconter, de la montrer. Avec Valérie Héroux au montage, fidèle collaboratrice de Podz, on avait certainement l’opportunité de s’amuser un peu dans la manière d’assembler le tout. De plus, avec un tel sujet et un tel univers il aurait été possible de s’en permettre bien plus, de donner une véritable fonction à l’accordéon, aux musiciens, aux idées de grandeur en comparaison à la dureté de la réalité. Même une scène de funérailles au potentiel évident s’avère au final « conventionnelle ». C’est ce désaccord entre ce qu’on raconte et comment on le raconte qui empêche le film de sortir du lot comme ceux qu’il aime suivre.
Enfin, les relations père-fille donnent souvent droit à du bon cinéma, puisant l’unicité dans les différences de genre qui opposent d’abord et avant tout les deux partis. On en a eu de magnifiques exemples avec Toni Erdmann et Eighth Grade dans les dernières années, pour ne nommer que ceux-là. Si le film de Miryam Bouchard ne se rapproche pas nécessairement de ces bijoux, il aura quand même ce qu’il faut pour réchauffer les cœurs et pousser son public à se poser les bonnes questions à la fois par rapport à ses liens avec les siens, mais aussi à sa propre position face au bonheur dans sa vie. Si on aurait aimé davantage de cinéma dans tout cela, ce sera au moins cela de gagné. On conseille également de rester durant le générique pour les touchantes images d’archives qui fait rêver à un documentaire encore plus personnel sur le sujet.
5/10
Mon cirque à moi prend l’affiche en salles ce vendredi 14 août.