Une morsure de tique peut changer notre vie. Pour certaines personnes, les symptômes de la maladie de Lyme ne disparaissent jamais après le traitement, ayant donné naissance à un long et épineux débat sur l’existence ou non d’une « maladie chronique de Lyme ». « Les symptômes sont là. La question, c’est quelle est la cause », résumait récemment le New Scientist.
La maladie de Lyme est en hausse partout dans le monde. Cette infection bactérienne transmise par des morsures de tiques peut entraîner des douleurs articulaires, de la fatigue, des dommages neurologiques et même une paralysie faciale temporaire. Détectée tôt, elle est traitable. Toutefois, certaines personnes signalent que des symptômes persistent après le traitement. Et comme la maladie de Lyme est extrêmement difficile à diagnostiquer, comment être sûr qu’elle est la véritable coupable?
Aux États-Unis, environ 15 000 cas étaient signalés chaque année à la fin des années 1990. Aujourd’hui, il s’agit d’environ 30 000 cas, et des estimations récentes des Centers for Disease Control (CDC) suggèrent que 10 fois plus de personnes pourraient contracter l’infection. En Europe, les cas sont en hausse constante depuis plus de 30 ans, et l’Organisation mondiale de la santé estime qu’au moins 65 000 personnes ont la maladie chaque année.
Une maladie qui provient d’une bactérie, la Borrelia burgdorferi, transmise à l’humain par l’intermédiaire d’une tique. Elle est présente aujourd’hui dans la majeure partie de l’Amérique du Nord et dans certaines régions d’Europe et d’Asie. Selon une étude de 2008, elle aurait « migré » en Amérique il y a 15 000 ans, avant l’arrivée des humains, colonisant les oiseaux, les petits rongeurs et les cerfs.
Si les mécanismes derrière les symptômes de Lyme restent encore incompris, c’est en partie parce que la détection de la maladie est difficile: d’une part, il est possible d’ignorer pendant deux jours qu’une tique s’est accrochée à nous: la plupart des infections sont provoquées par une nymphe, une tique immature d’aussi peu que 2 millimètres de large.
D’autre part, les tests sanguins sont peu efficaces lorsque les chercheurs parviennent à retracer les bactéries: elles se montrent presque impossibles à cultiver en culture. À la place, les chercheurs surveillent les éruptions cutanées en forme d’anneau que 70% à 80 % des gens développent entre quelques jours et un mois après une morsure de tique. Mais ce n’est pas non plus une méthode infaillible de dépistage parce que « l’anneau » peut être sur un endroit moins visible du corps, ou moins perceptible sur une peau noire. Les Afro-Américains constituent le groupe qui remarque le moins cette éruption.
Il y a plusieurs types de tests recherchant les anticorps produits par le système immunitaire pour combattre l’infection, mais ces tests peuvent aussi présenter de nombreux faux positifs.
Pour toutes ces raisons, l’existence même d’une « maladie de Lyme chronique », dont la définition est de surcroît nébuleuse, rend certains médecins très sceptiques: il peut être, résume le New Scientist, « presque impossible de déterminer si quelqu’un qui semble avoir la maladie de Lyme chronique était bel et bien infecté à l’origine, ou avait une maladie entièrement différente ».
Ce conflit est aggravé par le mauvais usage des antibiotiques : certains groupes activistes, tels que l’International Lyme and Associated Diseases Society, préconisent un traitement antibiotique à long terme pour la maladie chronique. Or, plusieurs essais cliniques démontrent que cette approche ne fonctionne pas mieux que le placebo, en plus de comporter des risques importants, comme de contribuer à l’augmentation des bactéries résistantes aux antibiotiques.
Cela s’inscrit aussi, complète le magazine, au sein d’une longue histoire de la communauté médicale de rejeter les maladies chroniques difficiles à définir —comme le syndrome de fatigue chronique ou la fibromyalgie— mettant les symptômes sur le dos de problèmes de santé mentale mal identifiés.
À l’inverse, des chercheurs comme John Aucott de l’Université Johns Hopkins, au Maryland, mènent des études sur des participants présentant l’éruption cutanée si caractéristique, et ayant récemment contracté la maladie de Lyme, sans diagnostic passé de douleur chronique ou de fatigue. « Ils sont traités avec une antibiothérapie standard et la plupart des gens s’améliorent, mais environ 10 % résistent au traitement », explique-t-il.
Le chercheur en conclut qu’il y a maintenant assez de preuves de l’existence du « syndrome post-traitement de la maladie de Lyme » —même si la cause fait toujours controverse.
Des causes possibles
En raison du chevauchement des symptômes avec les cas de fatigues chroniques et de douleurs communes, il n’y a pas de statistiques fiables. Certaines estimations suggèrent que jusqu’à 20% de ceux qui contractent la maladie de Lyme pourraient éprouver ces symptômes post-traitement.
Quant à ce qui pourrait expliquer cette condition, il y a plusieurs hypothèses. Aucott et son équipe suggèrent par exemple que l’infection pourrait déclencher une réponse auto-immune, dans laquelle le corps se retournerait contre ses propres cellules saines, ce qui expliquerait la fatigue et la douleur continues après le traitement antibiotique.
Une autre possibilité est que les antibiotiques ne tuent pas l’ensemble des bactéries, laissant quelques organismes endommagés. Dans les études animales, ces « bactéries zombies » se développent lentement et provoquent des symptômes d’arthrite plus graves, tout en résistant au traitement antibiotique standard.
Il se pourrait également qu’il n’y ait plus aucune bactérie mais que la maladie modifie les réseaux neuronaux en recadrant comment une personne perçoit la douleur et la fatigue. La répétition de la douleur sur plusieurs mois ou années peut en effet changer l’attention d’une personne, ou même l’anticipation de la douleur, créant une sorte de boucle de rétroaction —comme on le voit chez les personnes atteintes de fibromyalgie.
Autre hypothèse, le syndrome pourrait être une condition entièrement différente causée par une autre bactérie, elle aussi transmise par les tiques. Car les tiques peuvent être porteuses de nombreuses bactéries et provoquer des co-infections, ce qui complique les recherches lorsqu’on s’attèle à cerner la source des symptômes d’un mal précis, bien réel, mais encore bien mystérieux.