La COVID-19 frappe encore mais déjà, des chercheurs s’attèlent à déterminer d’où viendra la prochaine. Prédire l’inévitable pourrait-il être un jour possible?
Le professeur adjoint en écologie quantitative et computationnelle au Département des sciences biologiques de l’Université de Montréal, Timothée Poisot, le croit. « Nous devons identifier les réservoirs potentiels des infections virales transmissibles », c’est-à-dire les animaux qui sont susceptibles d’être porteurs d’un virus capable de nous être transmis.
Pour estimer ce risque, il faut commencer par établir des cartes: où sont ces espèces et à quel point sont-elles en contact avec les populations humaines? C’est le projet d’étude qu’amorce Timothée Poisot en combinant modèles mathématiques, intelligence artificielle et écologie.
Pour mieux cerner ces zoonoses —des maladies qui se transmettent de l’animal à l’humain — les chercheurs ont puisé des données au sein du grand inventaire épidémiologique des maladies humaines recensées, la base GIDEON.
Dans une précédente étude, le chercheur s’était déjà intéressé aux éclosions de maladies infectieuses à l’aide de l’apprentissage automatique, dans l’espoir de prédire la « biogéographie » des pathogènes. Cela lui a permis de tester le taux de réussite d’un modèle qui permettrait, en théorie, de prédire l’éclosion, l’émergence et la réémergence d’agents pathogènes. Il faudra également prendre en compte le passage des humains dans les zones les plus à risque.
« La mobilité humaine s’accélère depuis les années 1960 » et les chercheurs semblent s’entendre pour dire qu’un nombre croissant de nouvelles épidémies depuis un demi-siècle est directement lié à cette mobilité.
Ainsi, les chauves-souris se retrouvent souvent impliquées dans cette équation biogéographique sans doute en raison de leurs grands déplacements, leur mode de vie en colonie et un fort potentiel de transmission des virus, soupçonne le chercheur.
Il faudra aussi s’intéresser aux interactions entre les espèces et leur environnement, par exemple le type d’utilisation du sol, le milieu ouvert (champ) ou fermé (forêt), et même les températures et les précipitations, qui peuvent limiter ou favoriser la circulation des espèces et les contacts avec les autres animaux.
Sans compter les changements climatiques qui risquent encore de modifier la donne en modifiant l’aire de répartition des espèces, et donc de celles porteuses de maladies. « Le Québec ne représente pas une zone dangereuse pour l’éclosion d’une pandémie, par contre la présence du virus du Nil ou les cas récents de rage humaine, montrent que des changements rapides se produisent et se produiront avec le réchauffement », relève le Pr Poisot.
L’efficacité de notre système de santé et la densité de population plus faible à mesure qu’on remonte vers le nord, pourraient cependant nous prémunir en partie. Mais la COVID-19 a rappelé que personne ne vit en vase clos.
Du côté des vétérinaires
Une étude intéressante mais un peu abstraite et manquant de concret, commente de son côté l’ancien professeur de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, Daniel Martineau. « On veut des noms de maladies et des noms de pathogènes, pour savoir exactement de quoi il parle », relève l’expert en pathologie animale.
Il s’inquiète par ailleurs du manque de collaboration entre deux équipes de l’Université de Montréal autour du même sujet, celle du Pr Poisot et celle d’Hélène Carabin, du Département de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine vétérinaire. « C’est la chercheuse principale de la Chaire de recherche du Canada en épidémiologie et une santé et une experte du contrôle des zoonoses dans un contexte de santé mondiale. Et elle ne connaît pas les travaux du Pr Poisot alors qu’ils devraient travailler ensemble. C’est le grand paradoxe de la recherche où des personnes ultra-spécialisées ne communiquent pas.»
Le Pr Martineau convient que plus on possède d’informations sur les zones de récurrence de ce type de maladies, plus le modèle prédictif pourra jouer son rôle. Il rappelle qu’il est déjà en partie possible de prédire les prochaines pandémies en tirant par exemple les leçons du SRAS, notamment à travers le rapport de 2006 de la directrice de la santé publique du Canada, la Dr Theresa Tham. « Cela cernait bien l’origine de l’ancienne pandémie et annonçait ce qui se passe maintenant ».
La piste des chauves-souris lui paraît prometteuse pour les nouveaux coronavirus. « Sur 5500 espèces de mammifères connus, un quart sont des chauves-souris (1500) et bien que nous connaissions bien les pathogènes des vaches et cochons, parce que nous les élevons depuis des centaines d’années, il nous reste beaucoup à apprendre sur la transmission inter-espèces des mammifères sauvages. La médecine vétérinaire est familière avec les pandémies à virus, c’est le temps de faire plus appel à elle », soutient encore le chercheur.