Pour que les mesures d’aide puissent atteindre les plus vulnérables, il manque au Québec la capacité de recourir au numérique pour les consultations et le suivi des malades: puisque suivre et traiter de loin, cela aide aussi à la fameuse distanciation.
Cela fait d’ailleurs quelques années que les chercheurs soutiennent qu’il faut sortir du tiroir la santé connectée, mais en dehors des centres hospitaliers universitaires et du milieu anglophone, il y a encore trop souvent, dans le milieu de la santé, une grande perplexité et une méfiance pour le numérique.
Le virage vers la télémédecine tarde aussi à être pris en raison d’un manque de préparation des établissements, s’alarme Marie-Pascale Pomey, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « Il n’y a pas d’anticipation de circonstances complexes demandant des suivis à domicile, non seulement des dirigeants des établissements mais aussi des différents ministères. »
Son analyse, publiée en février dernier, montre qu’il subsiste encore de la méfiance face aux innovations numériques et à leurs bénéfices. On y note entre autres un grand retard technologique entre les différents établissements du Québec et d’autres provinces, un sous-financement et une lourdeur administrative. On peut y lire un triste constat, selon les gestionnaires interrogés : « les CIUSSS, voir les CHU, sont encore très loin d’être entrés dans l’ère du numérique ».
Alors que le Québec investit pourtant en intelligence artificielle et dans l’internet des objets, il reste un bond à faire pour assurer à tous l’accès à des consultations en ligne et à une assistance médicale adéquate.
Notamment en cette période de confinement: « nous constatons beaucoup de retard qu’il est difficile de rattraper en quelques jours, ce qui explique la mise en place de réactions en catastrophe, sans préparation, avec des difficultés pour se brancher au réseau MSSS de chez soi, pour faire les téléconsultations, ou pour le suivi à domicile des patients de la COVID-19 », résume la chercheuse.
Changements à venir
Dans l’après-crise, « il y aura des débats et des avancées dans ce domaine. La crise sanitaire que nous traversons va certainement favoriser le développement de la télésanté et des consultations en ligne. Il faudra aussi revoir la centralisation des analyses de laboratoire », ajoute Marc-André Maranda, ancien directeur du programme de santé publique au ministère de la Santé.
Cette crise sanitaire va de toutes façons être longue, le temps qu’un vaccin et des médicaments soient développés. Elle pourrait connaître deux ou trois autres vagues de propagation de la Covid-19. Des défis pour les intervenants du domaine: il faudra former des informaticiens médicaux et standardiser les logiciels pour que les professionnels de la santé puissent les utiliser à bon escient. En évitant de laisser cette évolution aux seules mains des compagnies qui œuvrent en télémédecine ou dans la gestion numérique.
La santé publique a perdu du terrain ces dernières décennies, trop souvent vue comme « quelque chose qui coûte cher et rapporte peu »: le virage numérique en a peut-être lui aussi souffert. La crise actuelle pourrait être une opportunité pour lui accorder une meilleure attention. « Il faut se demander ce qu’on veut comme société, conclut l’historienne de la santé Laurence Monnais, et pas seulement en temps de crise. Espérons que nous en tirerons quelques leçons ».