L’astrophysicien continue-t-il de s’émerveiller sous un ciel étoilé? La passion est-elle toujours au rendez-vous pour le biochimiste qui analyse mille et une fois la même séquence d’ADN? Un récent débat au Coeur des sciences de l’UQAM a apporté des réponses ambivalentes à ces questions.
Selon les écrits du Frère Marie-Victorin, «la science assèche le coeur». Cette citation, rapportée par l’historien des sciences Yves Gingras, de l’UQAM, décrit à quel point ce qu’il y a de magique dans la nature peut s’évanouir lorsqu’on l’analyse et l’étudie avec rigueur. Autrement dit, le chercheur qui s’investit corps et âme risque d’en perdre sa flamme ou ses repères.
Certains étudiants déchantent tout de suite après leur entrée dans le monde de la recherche, poursuit Yves Gingras. Ils y découvrent les protocoles expérimentaux laborieux, la méthodologie, les itérations et l’attente qui constituent le labeur du chercheur. D’après M. Gingras, c’est qu’on leur a vendu la science comme quelque chose de mystique. Pourtant, «l’intelligence artificielle, ce ne sont que des algorithmes. On débranche la machine et l’intelligence disparaît ».
Dans l’audience, un étudiant au doctorat a souligné la contribution du phénomène « publier ou périr » au désenchantement du scientifique. Le milieu est contraint à publier toujours plus articles afin d’obtenir des subventions ou de la renommée. Soumis à un tel système de course à la publication, des chercheurs iront même jusqu’à falsifier des résultats. Voilà un réel désenchantement, s’accordent tous les panélistes.
Pourtant, malgré tous ces bémols, l’émerveillement est toujours au poste pour des scientifiques comme Robert Lamontagne, astrophysicien et coordonnateur du Centre de recherche en astrophysique du Québec. «Je suis encore émerveillé du fait que nous sommes faits de poussière d’étoiles. Et je suis aussi fasciné quand je pense à toutes les découvertes scientifiques que nous avons accomplies », rapporte celui qui voit le cosmos comme un terrain de jeu infini et mystérieux.
Le mystère exerce une force d’attraction sur l’humain, qu’il soit scientifique ou pas, rappelle la dramaturge Angela Konrad. L’exploration du transhumanisme qu’elle a menée à travers ses oeuvres théâtrales lui a fait constater avec désarroi son ignorance face à l’immensité du savoir. De là, la naissance d’une crainte, d’un doute sur le sens notre existence, dit-elle. Ce sentiment de perte de repères serait dû au noeud qui subsiste entre nos croyances et la science, poursuit le philosophe des sciences de l’UQAM, Christophe Malaterre. « Quand la science répond à des questions existentielles, on se sent déstabilisé. La science dérange lorsqu’elle met en doute notre construction du monde.»