L’univers d’André Forcier s’assure d’être singulier à souhait au sein de notre filmographie. Face à un 21e qui le rend certainement plus foisonnant que jamais, force est d’admettre que son délirant Les fleurs oubliées sans pour autant apporter son opus le plus convaincant, est certainement l’une de ses propositions les plus accomplies depuis un bon moment.
C’est à prendre ou à laisser, mais pour ceux qui veulent bien se prêter au jeu, il est toujours assez difficile de ne pas se laisser charmer, ne serait-ce qu’un peu, par les longs-métrages de Forcier. Renouant avec une prestigieuse distribution qui ne cesse de se bonifier au fil des décennies, dans les petits ou les grands rôles et même les cameo (si vous clignez des yeux, par exemple, vous pourriez rater Anne Casabonne), tous se lancent avec un bonheur évident dans sa folle proposition, à commencer par Yves Jacques qui délire délicieusement dans la peau du frère Marie-Victorin soudainement ressuscité.
Mieux, le cinéaste renoue avec le plus rare Roy Dupuis, qui s’affranchit littéralement de son propre rôle dans la peau d’un exilé de la grande ville qui ne pense qu’à l’avenir de la nature, lui-même choisi pour sauver le futur des multinationales qui ont le profit sans l’avenir de la planète à coeur. Cette fable écologique multiplie les noms d’importance, allant de Gaston Lepage en passant par Donald Pilon, Juliette Gosselin, Émile Schneider, Louis Champagne et on en passe.
Si les dialogues continuent de sonner bizarrement à nos oreilles en raison de leur poésie et leur lyrisme propres à Forcier, ceux-ci peuvent paraître plus bizarres dans la bouche de certains interprètes, comme Christine Beaulieu, dont la présence ne se marie pas toujours habilement avec la tendresse inévitable de l’artiste derrière le film.
Il y a aussi que pour une nouvelle fois, en plus de conserver la famille au centre de son histoire, Forcier a également décidé de faire de ce nouveau long-métrage une entreprise entièrement familiale en incluant ses fils à l’écriture du scénario, en plus de sa femme, encore partout lors des étapes entourant la création.
N’en déplaise à la beauté des couleurs qu’on fait défiler sous nos yeux, si les effets spéciaux souvent psychédéliques peuvent donner envie de s’esclaffer, on ne peut cacher qu’en faisant appel à Nathalie Moliavko-Visotzky aux images, et à Elisabeth Olga Tremblay au montage, on se trouve certainement devant l’une des propositions les plus belles et fluides du cinéaste. Si Coteau Rouge était plus jouissif, il n’était certainement pas aussi accompli au niveau technique, s’apparentant davantage à de la série B. Ici, la production fait un bel étalage de ses moyens et si le scénario crie l’urgence dans sa dénonciation, le soin est partout dans sa création ce qui fait beau à voir.
Film résolument actuel et forcément très moderne, les critiques et les commentaires qu’on y trouve ne sont pas toujours les plus subtils, mais les nombreuses observations valent leur pesant d’or, surtout qu’en utilisant le fantastique et l’humour, la proposition est constamment très divertissante et engageante. Les douces mélodies de Robert Fusil et Jo Millette aident également beaucoup au caractère agréable de l’ensemble.
Certes, en voulant parler de journalisme, de complot, des travailleurs mexicains, des anarchistes, du passé et on en passe, on peut admettre que le film va aisément dans toutes les directions, mais il est difficile de lui en vouloir tellement la majorité des pistes s’imbriquent avec un excellent doigté. Ce n’est pas tout qui fonctionne, notamment tout ce qui implique Mylène Mackay, mais les bémols sont certainement moins nombreux que les éclairs de génie.
On apprécie grandement que TVA Films persiste à sortir les longs-métrages de Forcier en format physique, surtout considérant leur unicité dans notre cinéma. On peut également compter comme seul supplément sur une amusante fausse publicité de Transgenia, le Monsato québécois fictif du film.
Enfin, Les feurs oubliées s’inscrit sans mal dans la filmographie d’un cinéaste qui est loin d’avoir dit son dernier, avec une œuvre qui continue encore de rafraîchir un créateur qui ne cesse décidément pas de nous surprendre à tout coup.
7/10
Les fleurs oubliées est disponible en DVD via TVA Films depuis le 25 février dernier.