Adaptation théâtrale de la dystopie écrite par Aldous Huxley en 1931, Le meilleur des mondes de Guillaume Corbeil débutait la semaine dernière, au Théâtre Denise-Pelletier.
Le meilleur des mondes est un monde où l’ordre règne, un monde où chacun est heureux de ce qu’il a et obtient facilement ce qui lui manque avant que ça ne lui manque. Cela est assuré par la mise en place de castes (Alpha, Bêta, Gamma, etc.) conditionnées avant même la naissance-qui se fait de manière contrôlée et hors des organismes vivants- mais aussi par le Soma et l’hypnopédie. Le Soma est une drogue apparemment sans danger et distribuée à grande échelle, alors que l’hypnopédie est un processus de suggestions nocturnes qui suit les individus toute leur vie. Ajoutons une bonne dose de technologie au portrait et le résultat est le monde tel qu’il a été rêvé par tous, depuis toujours: le bonheur. Dans un monde où tout est si bien réglé, Bernard n’est pourtant pas exactement heureux, ce qui lui donne l’impression d’être brisé, anormal. Lorsque des réfugiés font irruption dans son unité, son monde bascule.
On suivra ensuite le sort de l’un de ces « sauvages »: John, enfant né hors des murs de manière naturelle et éduqué par la lecture de l’œuvre de Shakespeare!
Un monde où le bonheur est non seulement accessible, mais peut-être obligatoire, voilà une étrange dictature instauré à l’intérieure même des individus. Dans ce monde fictif, individualisme, culture et chaos sont proscrit. Corbeil a actualisé le récit sans le trahir, intégrant une couche de subtils référents contemporains dans l’histoire déjà sombrement annonciatrice, écrite il y a près d’un siècle.
La scénographie joue de grandiose technologique et de mécanismes simples qui font sourire, pour nous faire ressentir tout l’inconfort et toute la facilité de ce monde. Du pop-corn démesuré au colis livré en quelques secondes, le public rit doucement à ces caricatures du monde tel qu’on tente déjà de le construire. L’usage de l’immense écran cadrant la scène est habile, dosé. Sa présence obligatoire occupe notre œil dans un environnement sobre, blanc, vide, dans ce monde technologique qui ressemble trop au nôtre.
En revisitant l’œuvre pour la porter à la scène, l’équipe nous pousse à redécouvrir le thème du libre-arbitre dans un monde où loisir, technologie et médication existent pour ajouter à la fierté de l’individu d’être efficace, dans un travail pour lequel il est parfaitement adéquat. Comment ne pas être heureux? Difficile de ne pas se projeter dans la quête et le doute de chacun des personnages, admirablement porté par une équipe d’acteurs de grand talent.
Simon Lacroix campe un Bernard touchant et décalé, qualités que l’acteur porte toujours et qui servent à merveille l’humour de cette adaptation. John est un personnage candide puisqu’inexpérimenté dans ce monde où il n’a jamais vécu, son interprétation par Benoit Drouin-Germain était un choix adroit de plus. Avec cet acteur on suit le passage du « sauvage » de l’émerveillement à une gravité bouleversante. La magnifique Kathleen Fortin en incarne la mère. Pour ajouter à cet alignement de qualité, Macha Limonchik cumule les rôles et passe d’une peau à l’autre pour notre plus grand plaisir. Finalement, l’équipe est complétée par talent d’Ariane Castellanos, qu’on espère continuer de découvrir, et de l’acteur Mohsen El Gharbi.
C’est un immense plaisir de penser que plusieurs matinées étudiantes auront lieu, que cette œuvre puisse être découverte par les jeunes- et moins jeunes! Que vous connaissiez le livre qui l’a inspiré ou non, lancez-vous au Théâtre Denise-Pelletier avant la fin du mois pour assister à la pièce Le meilleur des mondes.
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