Pris dans un moule qu’on essaie tant bien que mal de casser, Captain Marvel est un film avec la fluidité et l’aisance habituelles de Marvel, mais qui, sans renier une part intéressante de personnages féminins, sert surtout de préambule à plus grand que lui, au lieu d’accorder à la superhéroïne sa véritable splendeur.
En 2019, le combat de la diversité est devenu, à son image, très varié. Il n’en demeure pas moins que les minorités visibles et souvent muettes multiplient leurs victoires à petite échelle et, pour une rare fois, Marvel doit rattraper DC en se permettant enfin d’offrir un modèle de superhéros féminin capable de faire rêver tout le monde et, surtout, toutes les petites filles qui réclament un peu de pouvoir dans un monde qui les a trop placées en retrait.
À cela, les premiers éloges vont au choix judicieux de la lumineuse Brie Larson pour incarner avec panache, aisance, charisme et nuance ce très beau rôle foncièrement humain. On connaissait son talent et ses charmes depuis très longtemps, surtout lorsqu’elle nous a chaviré dans le trop peu vu, mais pourtant essentiel Short-Term 12, mais il fait bon de voir sa bouille dans une mégaproduction après sa victoire aux Oscars méritée pour Room. De fait, le film est à son plus fort lorsqu’il se concentre sur elle et son cercle immédiat, plutôt que sur les délires intergalactiques qui ressemblent de plus en plus à un ramassis pêle-mêle de Star Trek et de Star Wars.
Loin des dieux et autres légendes, Captain Marvel est une héroïne comme Marvel nous l’a toujours montré dans sa forme la plus classique: une mutation. Une femme ordinaire au potentiel certain qui se voit conférer de grands pouvoirs qui lui permettront d’être le meilleur d’elle-même, si elle parvient à faire les bons choix.
Malheureusement, on ne tire pas profit de cette possibilité afin d’offrir quelque chose d’aussi classique et intemporel que le Spider-Man de Sam Raimi, et on rappelle trop régulièrement que ce nouvel épisode fait partie d’une série qui ne veut pas mourir. Ainsi, telle une télésérie qui trimbale ses références d’épisodes en épisodes, on place des pions et on surexplique ce qu’on ne voulait pas vraiment savoir (puisqu’on sait que de toute façon on invente au fur et à mesure).
De la chimie, mais…
Bien sûr, la chimie entre Larson et Samuel L. Jackson est exceptionnelle. Ils refont équipe à nouveau, mais on sent qu’au-delà de l’écran que leur complicité est bien plus grande que ce qu’on nous montre. Mais ces petits sourires qu’on nous décroche ici et là sont noyés dans un film générique qui manque cruellement de saveur.
Les scènes d’action sont très floues, l’histoire est éparpillée à gauche et à droite sans livrer de véritables surprises, l’humour est facile, voire très puéril, et Disney nous refait le même coup que dans toutes ses productions récentes ou presque des cinq dernières années sur l’identité de son méchant de service. De fait, toute la personnalité d’Anna Boden et Ryan Fleck, à qui l’ont doit les merveilleux Half Nelson, It’s Kind of a Funny Story et Mississippi Grind, notamment, est inexistante, même s’ils retrouvent le fabuleux Ben Mendelsohn, encore relégué à un rôle en deçà de son potentiel.
À l’inverse de Taika Waititi, qui avait pu insuffler toute sa folie à sa proposition, on retrouve trop peu de l’humanité sincère des cinéastes dans un film qui ne contient ni visuels marquants, ni thèmes musicaux mémorables, ou encore rien de transcendant, même dans ses références aux années 1990 qui auraient pu servir davantage que dans deux-trois clins d’oeil ici et là. Il y a certes un chat qui vole la vedette, mais c’est trop peu pour justifier toute l’entreprise, au final sans risque et maladroitement patriotique.
On s’en tient alors au trio féminin auquel s’ajoutent Lashana Lynch et Akira Akbar, qui permettent enfin de donner une plus belle importance aux femmes de l’univers de Marvel qu’on a souvent vu comme collègues, amoureuses, faire-valoir, filles de l’un, sacrifice ou autre, mais rarement en plein contrôle de leur propre désir et de leurs propres répliques.
C’est donc ce qu’il faut retenir de ce foutoir rapidement oubliable. Qu’il essaie à sa façon, quoique de manière plutôt malhabile, d’offrir de l’espoir aux filles et aux femmes, à celles qui brillent partout ou qui ne savent pas encore qu’elles ont l’immense possibilité de briller. Et c’est justement ce qui est dommage, que Disney Marvel lui-même effectue un bond en arrière dans son dernier tournant ne permettant pas à son puissant personnage de terminer son propre film, mais bien de rappeler qu’il sert seulement d’apéritif avant le plat principal. De quoi se rappeler qu’il y a encore bien du chemin à faire.
6/10
Captain Marvel prenait l’affiche jeudi.