Une autre année, une autre déclinaison du « simulateur » de surveillance de masse Orwell. Après la première mouture de novembre 2016, voilà que les développeurs du studio allemand Osmotic Studios remettent ça avec Ignorance is Strength, qui s’intéresse cette fois aux fausses nouvelles et à leur impact bien réels.
Après la chasse aux terroristes du premier opus, où l’opérateur anonyme derrière la plateforme de collecte d’informations Orwell avait dû résoudre l’énigme d’une série d’attentats à la bombe, voilà qu’un blogueur particulièrement fort en gueule, Raban Vhart, attire l’attention des autorités, surtout en raison de ses liens avec un ancien soldat étranger devenu agent double pour « The Nation », l’État dont le gouvernement a mis au point Orwell.
À l’image du premier titre, il faut donc recueillir des informations sur divers sites web et à l’aide d’autres sources, disons, pas toujours moralement responsables. Mais à quoi peut bien servir la morale lorsqu’il est question de protéger la Nation? La défense de la sécurité publique et la préservation du gouvernement n’ont-elles pas préséance sur toutes les autres considérations?
Le premier Orwell ouvrait déjà grand la porte à un univers où un employé de l’État peut dicter la marche des événements en sélectionnant les informations qui sont transmises à un équivalent d’un supercalculateur capable d’établir des liens entre des données au premier abord tout ce qu’il y a de plus disparates. L’univers évoqué était non seulement celui de la surveillance constante, mais surtout de la fabrication des trames narratives pour coller à de nébuleux objectifs sécuritaires et politiques.
Cette fois, on ajoute une bonne dose de réseaux sociaux et de fausses nouvelles au lot. Raban Vhart, celui qui passe pour un « adversaire », entretient un blogue particulièrement populaire sur le web, sur lequel il publiera des « articles » incitant à la révolte contre le Gouvernement.
Bien entendu, tout gouvernement développant une plateforme de surveillance généralisée mériterait d’être renversé, et ses dirigeants emprisonnés. Malheureusement, les concepteurs du titre ont imposé suffisamment de barrières narratives pour qu’il soit impossible de jouer au révolutionnaire en herbe. Tenter la même chose dans la première version d’Orwell menait promptement à notre expulsion de la plateforme et l’envoi des limiers numériques à nos trousses, entraînant la fin de la partie.
En fait, il n’y a pas de « bon », dans Ignorance is Strength. L’État est corrompu, Raban Vhart est un partisan de certaines des pires théories de la conspiration, et dans un pays où les seules sources d’information connues sont pilotées par des pantins répondant aux ordres du gouvernement, l’utilisation des fausses nouvelles est déjà généralisée: il suffisait d’y ajouter l’odeur de moisissure qui plane sur les vrais réseaux sociaux et sur la présidence américaine depuis un an, et hop!, le tour est joué.
Se heurter aux murs de sa prison
Si l’idée de s’intéresser aux fausses nouvelles a du bon, et surtout lors de la troisième partie, où il est possible de créer ses propres messages faussement vrais à l’aide de véritables informations glanées ici et là, Orwell: Ignorance is Strength prend malheureusement trop de temps à plonger tête première dans le flot d’immondices qui circulent en ligne.
Il aurait ainsi fallu que cet ultime outil soit disponible dès le départ, histoire que les impacts soient multipliés et exacerbés. Car il faut l’avouer: l’importance de ce fameux blogueur et l’impact de ses messages semblent tirés par les cheveux. Puisque l’univers est fictif, il aurait fallu nous donner un peu plus d’informations sur la sphère médiatique existant dans la Nation et dans les pays avoisinants.
Il aurait également été intéressant que les informations divulguées par Vhart soient véritablement dommageables pour l’État. On évitera ici de trop s’aventurer dans les divulgâcheurs, mais se faire dire, par sa patronne, qu’il faut absolument stopper la publication d’un billet de blogue, alors que le billet en question ne contient qu’un ramassis de théories ne reposant que sur du vide n’incite certainement pas à faire de son mieux pour écumer le web et trouver des informations compromettantes sur le méchant de service.
Avec cette « nouvelle saison » d’Orwell, Osmotic Studios se heurte aussi au cadre que les développeurs ont eux-mêmes mis en place. L’incident est anecdotique, certes, mais après avoir passé 20 minutes à tenter d’inscrire un nom dans une base de données pour effectuer une recherche, et ce sans succès, pour ensuite constater qu’il fallait plutôt se rendre dans un autre écran où ce même nom était « cliquable », on constate que le système de jeu d’Orwell a mal vieilli. L’aspect nouveauté de la première mouture permettait d’absoudre bien des péchés, mais si l’on souhaite donner plus de liberté au joueur dans la suite des choses, il faut que l’interface soit elle aussi plus permissive.
Bien honnêtement, Orwell: Ignorance is Strength aurait pu aller plus loin, beaucoup plus loin. Malheureusement presque à la remorque des vraies actualités, avec la lutte contre les fausses nouvelles menées par les organes d’information, par exemple, ou encore avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Le jeu passe également à côté de la possibilité de tenir une réflexion plus approfondie sur la surveillance gouvernementale, la manipulation des informations, la militarisation de la société… Autant de thèmes particulièrement actuels qui auraient pu mener à des rebondissements narratifs franchement prenants.
Peut-être dans une éventuelle troisième déclinaison?
Orwell: Ignorance is Strength
Développeur: Osmotic Studios
Éditeur: Surprise Attack
Plateforme: Windows, Mac OS et Linux (testé sur Windows)
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