Spotlight ne s’attaque pas à un sujet facile et, Dieu merci, il n’a pas pour autant voulu faciliter la tâche aux spectateurs, lui exigeant un maximum de concentration pour s’intéresser pleinement à la totalité de son dossier. Comme toute audace a ses rétracteurs, c’est peut-être également cette persistance à ne pas faire dans le mélodrame ou les clichés qui empêchera les foules à s’enthousiasmer pleinement. Néanmoins, ce même entêtement hissera certainement l’œuvre parmi les plus fascinantes de l’année.
Basé sur une enquête lauréate d’un prestigieux prix Pulitzer, le plus récent film de l’excellent cinéaste Tom McCarthy lui permet de remonter la pente après l’inexplicable The Cobbler. Sans se défaire d’un humour subtil qu’il laisse toujours planer dans chacune de ses œuvres, il se détache quelque peu de sa naïveté des premières heures et de son cynisme des plus récentes pour traiter avec froideur d’un scandale religieux qu’on a voulu taire pendant des années. Située à Boston, sous la loupe de la section Spotlight du Boston Globe, une bande de journalistes dévoués se lance coûte que coûte à la découverte de ces prêtres violeurs d’enfants.
Le sujet n’est pas nouveau et si on en a souvent parlé ici et là, on sera rarement rentré autant dans le cœur du sujet. Et ce qui est encore mieux, c’est que le long-métrage ne s’écarte jamais de son sujet: l’enquête. Tout comme le stoïque nouveau patron du journal le laisse comprendre, sous les traits imposants de Liev Schreiber, il ne s’agit pas de victimiser nécessairement une personne plus qu’une autre, mais bien de voir ici l’ensemble et l’ampleur de toute l’histoire et c’est ce que fait le film avec doigté. Évitant de nombreux pièges et obstacles qui éloigneraient le vrai sens du récit, on prend néanmoins le temps de travailler la personnalité des personnages et leur propre réalité, sans jamais déborder sur la trame narrative principale, un exploit qui arrive assez peu souvent.
Ainsi, fortement verbeux et intellectuel, on fait énormément travailler notre cerveau en reconsidérant constamment nos propres valeurs, nos propres croyances et nos propres morales. Mieux, on nuance sans cesse les propos et les circonstances pour démontrer que rien n’est tout noir ou blanc, ou encore qu’il y a nécessairement que des gentils ou des méchants. En tête d’une distribution exemplaire, Michael Keaton parviendra avec brio à composer à nouveau un excellent personnage qui posera encore davantage de questions sur toute la validité de l’entreprise et le désir si fort, mais parfois vain, de mettre la faute sur quelqu’un ou quelque chose en particulier.
À ces côtés, il faut saluer la répartie des nombreux Stanley Tucci, Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Billy Crudup et autres John Slattery, qui savent apporter toute la forte dimension de l’œuvre qui danse sur plusieurs pieds et plusieurs tonalités pour colorer l’ensemble par moment un peu grisâtre de par sa saison et son sujet. La sobre réalisation de McCarthy est également rehaussé par la force de son scénario coscénarisé par Josh Singer qui a énormément collaboré à la télésérie The West Wing, et aussi par les élégantes compositions de Howard Shore qui savent teinter d’espoir, de méfiance, de persévérance et d’émotions le rythme du film qui tend à se relâcher ici et là au fur et à mesure que les recherches piétinent.
Avec cette ambiance qui fait écho à ses modèles antérieurs au 21e siècle, on se fascine à y retrouver un style qu’on retrouvait davantage dans de nombreux suspenses dramatiques du genre, faisant un parallèle fort intéressant à l’année représentée dans le film, soit, 2001. Optant pour le classicisme et ce certain refus de modernité, on s’obstine à rappeler qu’on ne peut pas avancer tant qu’on n’a pas assumé et réparé les erreurs d’hier qui se poursuivent encore aujourd’hui.
Cumulant en un message fort qui appuie les tonalités graves seulement lorsqu’il le faut vraiment, avec une précision qui s’entête à avancer toujours tout droit, Spotlight est une œuvre qui frappe juste et qui frappe fort. Le genre de films qui fait réfléchir, qui choque, mais qui a cette force qui fait grandir puisqu’on a ce sentiment d’investissement qui à l’instar de ses protagonistes, nous laisse avec l’impression d’avoir accompli quelque chose d’important. Un long-métrage qui s’impose comme une obligation pour tous ceux qui ont ne serait-ce qu’un léger intérêt pour le journalisme, puisque le métier y est ici glorifié avec élégance, et ce dans toute son importance.
7/10
Spotlight prend l’affiche ce vendredi 20 novembre