« Si nous perdons l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA), nous perdons le lac Érié. » Une déclaration qui a frappé les esprits, lors de la rencontre annuelle de scientifiques et de fonctionnaires canadiens et américains sur l’avenir des Grands Lacs, tenue la semaine dernière à l’Université de Windsor.
Sans les règles environnementales mises en place par l’EPA et sans un travail de surveillance, le lac reviendra aux niveaux de pollution qui étaient les siens il y a des décennies, selon le biologiste Jeff Reutter. Avec, en prime, tous les problèmes qui se sont additionnés entretemps: invasions d’algues, fonte des glaces et espèces invasives.
Bien que, précise-t-il, la protection de l’environnement dans la région ait fait d’énormes progrès depuis 50 ans, trois facteurs font du lac Érié le plus vulnérable à la pollution parmi les cinq Grands Lacs. C’est le plus petit. C’est celui qui compte le plus grand nombre d’humains sur ses rives et ses affluents (12 millions de personnes). Et enfin, c’est celui dont la température moyenne est la plus élevée. Depuis 2011, les manifestations les plus visibles de cette pollution en partie d’origine agricole ont été les invasions d’algues qui, chaque été, dévastent la vie marine dans la partie ouest du lac, et qui ont atteint en août 2014 une ampleur telle qu’un demi-million d’habitants de la ville de Toledo ont dû se tourner vers de l’eau embouteillée.
Du côté canadien, le lac Érié est bordé par l’Ontario, de Windsor jusqu’à Niagara. En face, la plus grande partie est occupée par l’Ohio, incluant les villes de Toledo et de Cleveland. Deux autres métropoles, Détroit et Buffalo se trouvent à chacune des extrémités du lac.
Le Dr Jeff Reutter, qui était le conférencier vedette de la 8e « rencontre biennale du Réseau du Millénaire du Lac Érié » (Lake Erie Millennium Network), est conseiller spécial du programme de subventions maritimes de l’État de l’Ohio. À ses yeux, faire disparaître l’EPA ou sabrer radicalement dans son budget aurait pour conséquence un retour à l’époque où les pollueurs avaient la partie facile.
S’il n’a pas été question des coupures appréhendées à l’EPA dans le discours qu’a prononcé Donald Trump le 28 février devant les élus, celui-ci a en revanche signé le même jour un premier décret visant le « démantèlement » de la mise à jour des règles sur la protection des eaux. Adoptée sous Obama, il s’agissait d’une mise à jour du Clean Water Act, qui remonte à 1972, et qui avait justement été adoptée à cause d’un affluent du lac Érié : une rivière en flammes à la suite d’un déversement de pétrole. C’était la rivière Cuyahoga, qui traverse Cleveland, et le fait que tout le pays apprenne en même temps que la rivière était si polluée que ce n’était pas le premier incendie, avait conduit les politiciens des deux partis à s’entendre pour la première fois aux États-Unis, sur des normes de protection de l’eau et de l’air, et à créer l’EPA.
Ce type d’accident appartient aujourd’hui au passé, mais reste qu’en plus des invasions d’algues, deux autres problèmes affectent le Lac Érié, de même que les Grands Lacs: le rythme rapide auquel la couverture de glace diminue d’année en année, et les espèces invasives. Le biologiste Robert Michael McKay, de l’Université Bowling Green (Ohio) a parlé lors de la rencontre de Windsor d’un déclin de 75 % des glaces sur 50 ans. Et quelques jours après la conférence, le gouvernement du Québec annonçait la présence dans le Saint-Laurent d’une espèce invasive particulièrement inquiétante, la carpe asiatique, qui avait pénétré les Grands Lacs en 2013.