Il y a déjà les gouvernements autoritaires, la corruption, les forces de l’ordre, les attentats, la désinformation… mais il y a aussi le manque de revenus et les fermetures de salles de nouvelles: dans son plus récent classement de la liberté de presse à l’échelle mondiale, Reporters sans frontières (RSF) tire la sonnette d’alarme.
Selon l’organisation, en fait, c’est d’ailleurs le facteur économique qui, de l’ensemble des cinq indicateurs examinés par RSF, qui pèse le plus lourd dans la balance. Du même coup, la situation de la liberté de presse serait devenue « difficile » à l’échelle planétaire, mentionne le classement annuel.
Ainsi, « dans 160 des 180 pays analysés » dans le cadre du rapport, « les médias ne parviennent pas à atteindre une stabilité financière ». Pire encore, écrit-on, des médias d’information ferment régulièrement, en raison de difficultés financières. Et cette érosion des forces vives de la presse vient saper la capacité, par le « quatrième pouvoir », de faire la lumière sur les agissements des trois autres.
Et ces problèmes de revenus financiers pour les médias ne sont pas cantonnés dans les pays où la liberté de la presse est déjà malmenée; RSF donne ainsi l’exemple de la Nouvelle-Zélande et de l’Afrique du Sud, pourtant respectivement classées au 16e et 27e rang.
Mais sans surprise, c’est chez les cancres de la liberté de presse que l’on constate un véritable « exil » des journalistes en raison de fermetures massives de médias, parfois même sous le coup des autorités, plutôt que suite à des problèmes financiers. On évoque ainsi le cas du Nicaragua (172e place), du Bélarus (166e), de l’Iran (176e), de la Birmanie (169e), du Soudan (156e), de l’Azerbaïdjan (167e), ou encore de l’Afghanistan (175e), où la situation politique est déjà, bien souvent, catastrophique pour les journalistes et les médias en général.
C’est chez notre voisin du Sud, les États-Unis, que la situation économique semble être le plus en chute libre. Le pays de l’Oncle Sam, d’ailleurs, a perdu deux places, cette année, pour se classer en 57e position. On y juge d’ailleurs que la liberté de presse est « problématique ».
Dans ce contexte, les journalistes indépendants sont les plus durement touchés; RSF fait état d’une enquête, menée en Arizona, en Floride, au Nevada et en Pennsylvanie, où 60% des participants affirment « qu’il est difficile de gagner sa vie en tant que journaliste ». Ils sont aussi 75% à déclarer que « la viabilité économique d’un média moyen est en difficulté ».
Le pactole pour les géants du numérique
À l’opposé, les grandes plateformes numériques – les GAFAM – ont engrangé des revenus publicitaires de 247,3 milliards de dollars américains en 2024, mentionne le rapport, une croissance de 14% comparativement à l’année précédente. Ce sont des sommes qui, si elles n’étaient pas toutes destinées aux médias traditionnels, à la base, ne tombent de toute façon pas dans l’escarcelle de ces derniers.
En perte de vitesse pour cause de financement réduit, les médias sont souvent moins présents en ligne, ou ne sont pas en mesure de combattre efficacement la désinformation. Certaines plateformes, comme Facebook, acceptent d’ailleurs sciemment de publier des informations fausses qui sapent la confiance du public envers les institutions. Et cela, c’est sans parler d’autres réseaux, comme X, où l’extrême droite a toute la latitude nécessaire pour envenimer le climat social.
Au Canada, la situation de la liberté de presse demeure stable; le pays demeure en 21e place, et on y juge le contexte médiatique « plutôt bon », à l’instar d’une bonne partie de l’Europe de l’Ouest, centrale et de l’Est, à l’exception de l’Italie et des Balkans, où la chose est plutôt « problématique ».
Et comme dans pratiquement tous les classements de RSF, les pays scandinaves arrivent en tête de liste, tout comme les Pays-Bas.
Complètement à l’autre bout de l’échelle, 42 pays, où vit plus de la moitié de la population mondiale (y compris la Chine et l’Inde), la situation est jugée « très grave », rapporte l’organisation. « La liberté de presse y est totalement absente et exercer le journalisme y est particulièrement dangereux », ajoute-t-on.
C’est ainsi le cas en Palestine, où « l’armée israélienne massacre le journalisme », en y tuant « plus de 200 professionnels de l’information, dont au moins 43 dans l’exercice de leur travail », depuis l’attaque du Hamas, en octobre 2023. L’État hébreu, lui, où les libertés civiles sont toujours un peu plus restreintes, perd 11 places au classement pour se retrouver en 112e position.