Dans un sauna gai de Montréal, un jeune homme vit sa peine d’amour en multipliant les doses de stupéfiants. Et dans la salle intime du Théâtre Prospero, le public, presque écrasé par une scénographie aussi simple qu’impressionnante, n’a qu’une seule envie: prendre dans ses bras cet individu au bout du rouleau.
Plus récente création d’Éric Noël, Ces regards amoureux de garçons altérés met en vedette un Gabriel Szabo aux abois. Amoureux transi, le coeur écrasé en mille miettes par ce Manu qui ne l’a jamais vraiment apprécié, jamais vraiment aimé, le voilà qui non seulement se drogue jusqu’à l’excès, mais cumule aussi les baises aussi mécaniques que vides de sens.
Tout au long des 75 minutes de l’oeuvre, on sent le poids du désespoir, le poids des mots, des sentiments. Mais aussi le poids de cet endroit lugubre, sinistre, cette chambre de sauna et tout ce qui l’entoure, cet endroit où l’on consomme allègrement des drogues dures, y compris du crack, histoire d’oublier. Car cette volonté d’oublier, de s’autodétruire pour ne plus avoir mal, est absolue.
Et dans la salle, dans cette salle déjà minuscule où les spectateurs installés en première rangée ont déjà pratiquement les pieds sur la scène, on a réduit l’espace de jeu à sa plus simple expression: une espèce de tunnel, de conduit, un endroit où il est impossible de tenir debout. S’asseoir, peut-être. Et encore.
C’est là que notre interprète présentera son monologue chargé de douleur et de passion. C’est là qu’il se tortillera, le corps (et son justaucorps) peu à peu trempé par ce que l’on imagine être du lubrifiant. Un liquide sans doute poisseux, collant, ultimement désagréable au toucher, surtout lorsque la passion n’y est pas, lorsque le désir ne fait pas oublier tout le reste.
Le voilà, donc, à cracher sa douleur, sa peur, sa tristesse, sa colère.
Et voilà le public, en quelque sorte lui aussi coincé dans cet étau aussi scénique qu’émotionnel, ou encore psychologique.
Pièce coup de poing, Ces regards amoureux de garçons altérés est une oeuvre douce-amère, et même parfois franchement difficile. On en ressort le souffle court, les nerfs qui peuvent enfin se détendre après 75 minutes de cris, de pleurs, de réalisme amoureux brutal. Tout une pièce de théâtre…
Ces regards amoureux de garçons altérés, d’Éric Noël, mise en scène de Philippe Cyr, avec Gabriel Szabo
Au Théâtre Prospero, jusqu’3 mai