Félix-Antoine Boutin, le nouveau directeur artistique du théâtre Espace libre, n’aura pas perdu de temps pour se faire les dents, après sa nomination, en janvier; le voilà qui met la main à la pâte de Battements, un programme double mêlant théâtre, musique, cinéma et réflexion sur l’art.
« Vois mes yeux (la première partie de ce programme double, NDLR) est un moment que m’a laissé Geoffrey Gaquère (l’ancien directeur artistique, NDLR) dans sa programmation pour ouvrir la saison, et j’ai voulu mettre deux spectacles que j’aimais beaucoup l’un à la suite de l’autre », mentionne M. Boutin en entrevue téléphonique.
« Les deux, ce sont des reprises de spectacles qui n’ont pas eu nécessairement une forme théâtrale, mais qui n’avaient pas nécessairement été joués dans une salle de spectacle, et qui parlait de cette notion de transmission, qui avaient un espace poétique où l’on se demandait ce qui est notre bagage, qu’est-ce qui nous construit, quelles sont les influences qui font en sorte que nous produisons de l’art, ou que nous vivons, comme humains? »
« Vois mes yeux, c’est né de l’album Mille Milles, de Vincent Legault; il s’est associé à la femme de théâtre et poétesse Evelyne de la Chenelière pour tenter de créer des paroles pour accompagner la musique, sans chanter nécessairement. Ils ont fait l’album, ils m’ont appelé pour que je fasse le lancement, puis la pandémie est arrivée », poursuit M. Boutin.
Cette crise sanitaire « nous aura donné l’occasion de penser à ce que nous voulions vraiment faire ». En résulte ce que M. Boutin qualifie « d’objet un peu informe, mais tout aussi jouissif ». « Avec Vincent et Evelyne, cela a été une réelle rencontre artistique de trois têtes qui ne font pas les mêmes choses, mais notre créativité était très bouillonnante, ensemble, et nous avons créé cette forme qui rejoint le cinéma, le théâtre, la musique. »
L’album de Vincent, j’avais l’impression que c’était la bande sonore d’un film qui n’existait pas, et qui n’allait jamais exister.
-Félix-Antoine Boutin
Dans le contexte de la pandémie, impossible de savoir si des acteurs allaient pouvoir remonter sur scène avant longtemps. Décision fut donc prise de se tourner vers des extraits de vieux films, aujourd’hui tombés dans le domaine public. « J’ai découvert une cinématographie que je connaissais peu, et qui m’a beaucoup intéressé. En multipliant les extraits d’environ trois secondes, j’ai réussi à monter un long film sur la musique de Vincent et les paroles d’Evelyne. Et puis, on s’est rendus compte qu’on pouvait avoir du vivant sur scène, ce qui explique la présence d’Evelyne et de Vincent, ce dernier apparaissant sur scène pour jouer en direct et devenir un genre de personnage dans cette fiction », a encore mentionné M. Boutin.
Devant cette fusion créatrice, et avec la création d’un nouvel album de musique, basé sur des messages laissés à Vincent Legault par Mme De la Chenelière, album qui donna à son tour naissance à un nouveau spectacle, Félix-Antoine Boutin soutient que cet effet d’entraînement force le spectateur et le créateur à se demander « ce qu’est vraiment un spectacle de théâtre, de musique ».
« En fait, nous n’avons jamais trouvé la réponse, et c’est ça qui est beau. »
Retrouver les racines du théâtre
M. Boutin, avec cette double création à laquelle il a allègrement pris part, semble trouver un plaisir concret à errer dans cette zone grise englobant divers arts de la scène. Sommes-nous encore dans le théâtre si l’on présente des extraits de films? Si l’on y joue de la musique? Comme il le mentionnera lui-même plusieurs fois en entrevue, c’est aussi cela, l’objectif de ce programme double: susciter le questionnement, la réflexion, provoquer une remise en question, peut-être?
« Je suis un grand amoureux du théâtre », assure le principal intéressé. « Et je trouve que souvent, on confine ce médium dans quelque chose qui n’existe pas. Le théâtre est né de danse et de chant; le réalisme est arrivé très tard dans l’histoire de ce médium. Pour moi, de le définir comme une histoire de fiction, avec des personnages sur scène qui racontent une histoire, qui sont un miroir de la vie, pour moi, ce n’est pas seulement ça. »
Pour Félix-Antoine Boutin, le théâtre est plutôt « un espace à découvrir, dont on invente à chaque fois les codes ».
« Pour ce qui est du spectacle en lui-même, nous avons mis nos énergies en commun pour que cela ne fasse pas une grande pizza multidisciplinaire; c’est vraiment une proposition qui a une ligne directrice, il y a une cohérence dans tout cela. Nous essayons d’emmener le public dans un voyage qui n’a qu’une seule forme. »
Cette aventure théâtrale sera donc à découvrir, en deux volets, à partir du 26 septembre, à l’Espace libre.