Les sentiments et les émotions exprimés dans des tweets peuvent être utilisés, en temps réel, pour évaluer où des pénuries et des problèmes d’approvisionnement imputables à une pandémie, une guerre ou une catastrophe pourraient entraîner un manque de nourriture, selon des chercheurs de l’Université Penn State et de l’Université Hamad Bin Khalifa, au Qatar.
Leurs travaux révèlent que les tweets liés à la sécurité alimentaire qui expriment de la colère, du dégoût ou de la peur étaient fortement liés à de véritables pénuries alimentaires dans certains États américains, au début de la pandémie.
Ces conclusions pourraient éventuellement servir à concevoir un système d’alerte à faible coût pour identifier les endroits où il serait urgent d’offrir de l’aide alimentaire.
« Le début de la pandémie de COVID-19, et des problèmes de chaînes d’approvisionnement qui y sont liés, a suscité des inquiétudes planétaires à propos de l’accès à la nourriture, et plusieurs personnes se sont tournées vers les médias sociaux pour exprimer leurs craintes », a indiqué Stephan Goetz, professeur d’économie agricole et régionale à Penn State. « Nous voulions voir si les tweets publiés en temps réel pouvaient être utilisés pour identifier des régions ou des États spécifiques aux prises avec des problèmes d’approvisionnement ou d’insécurité alimentaire. »
Au dire de M. Goetz, plutôt que de s’intéresser seulement au nombre de tweets liés aux problèmes entourant la nourriture, ses collègues et lui-même voulaient savoir comment les gens se sentaient, en lien avec leur situation alimentaire. En utilisant l’intelligence artificielle, les chercheurs ont identifié les sentiments et émotions associés aux tweets, ce qui a permis de séparer les messages d’inquiétude à propos de l’approvisionnement alimentaire de ceux qui exprimaient de la satisfaction ou du contentement.
Parmi les tweets analysés, les plus nombreux étaient ceux qui exprimaient de la joie, ce que les chercheurs ont interprété comme une réflexion du soulagement à propos du fait que l’approvisionnement alimentaire américain était demeuré sensiblement le même durant la pandémie, malgré des craintes, au début de la crise, à propos de la solidité des chaînes d’approvisionnement. Les messages qui exprimaient des émotions négatives, comme la colère, le dégoût et la peur, était largement associés à de véritables pénuries ou problèmes d’approvisionnement dans certains États.
Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont utilisé une base de données appelée GeoCoV19, qui contient des centaines de millions de tweets liés à la COVID-19, écrits dans diverses langues, et publiés partout dans le monde. Ils n’ont retenu que les messages en anglais, d’origine américaine, et qui ont été publiés entre le 1er février et le 31 août 2020.
« Nous avons aussi créé une liste de 138 mots et phrases, comme « ne peut pas payer l’épicerie », ou encore « prix des aliments » ou « pénurie », que nous avons utilisée pour isoler les tweets les plus utiles, et nous avons obtenu un peu plus de 1,2 million de messages », a mentionné Connor Heaton, coauteur de l’étude.
« Puis, nous avons utilisé des modèles langagiers contextuels pour déterminer le sentiment et les émotions de chaque tweet. Ces modèles s’appuient sur la signification émergente d’une séquence de mots, plutôt que de s’appuyer sur une relation prédéfinie entre des mots individuels et un sentiment ou une émotion. »
Comparaisons régionales
Les chercheurs ont également utilisé les tweets pour effectuer une comparaison avec les différentes régions des États-Unis qui souffraient bel et bien de pénuries alimentaires, selon un sondage national effectué au hasard parmi l’ensemble des ménages américains. Le sondage en question demande d’indiquer si les habitants d’une résidence disposent de suffisamment de nourriture, d’abord lors de la semaine précédente, mais ensuite avant le début de la pandémie.
Après répartition dans tous les États, pendant la période de six mois examinée par les chercheurs, les tweets exprimant de la colère, du dégoût et de la peur étaient très étroitement liés à de véritables problèmes d’approvisionnement alimentaire rapportés dans le cadre du coup de sonde. Ainsi, c’est en Californie, dans l’Illinois, dans l’État de New York, au Texas et dans le Wisconsin que l’on a le plus craint pour les chaînes d’approvisionnement alimentaire. La colère et le dégoût, eux, ont été liés à des problèmes d’approvisionnement dans un total de 12 États.
Selon M. Goetz, d’autres travaux sont nécessaires pour déterminer si cette méthode d’évaluation basée sur un réseau social pourrait remplacer d’autres démarches plus complexes, coûteuses et lentes, comme les sondages.