Si vous appréciez la science-fiction intelligente, originale et débordante d’action, vous devriez assurément vous procurer le premier tome de Rook Exodus, une bande dessinée scénarisée par le grand Geoff Johns et illustrée de main de maître par Jason Fabok.
Située dans le système Kepler et achetée par la corporation Better-World en 2152, Exodus, une planète désertique transformée de façon à ce qu’elle ressemble à la nôtre sans la pollution, la pauvreté et la surpopulation, a accueilli au fil des ans des centaines de milliers de colons fuyant une Terre devenue inhabitable à la recherche d’une vie meilleure. Malheureusement, suite à une panne du terraformeur près de deux décennies plus tard, le climat de ce monde extraterrestre est redevenu inhospitalier. L’eau se fait rare et les animaux, comme les habitants, sont de plus en plus affamés. L’évacuation de masse a donc débutée en 2171.

Seuls les Bergers, des employés de Better-World portant un casque branché sur le réseau neuronal leur permettant de contrôler les actes des animaux venus avec eux, sont restés sur place. Parmi ceux-ci, Rook, le maître des corbeaux, cherche à fuir cette planète mourante en récupérant des pièces sur des épaves afin de se construire une fusée, mais juste au moment où il a terminé, un missile lancé par Ursa, un homme cherchant à prendre le contrôle d’Exodus, la détruit. Rook sera dès lors obligé de se battre pour survivre sur ce monde où les prédateurs, atteints d’un gigantisme inexplicable, se sont mis à grossir démesurément.
Grâce à sa connaissance encyclopédique des publications de DC Comics et à sa façon de réinventer des personnages iconiques comme Green Lantern, Flash ou Aquaman tout en respectant leur riche héritage, Geoff Johns s’est taillé une place de choix dans le cœur des bédéphiles. En 2023, il a mis sur pied le collectif Ghost Machine et a commencé à élaborer son propre univers interconnecté à travers des titres comme Geiger, Junkyard Joe ou Redcoat, où les différents protagonistes finissent par interagir les uns avec les autres. Puisque les liens unissant Rook Exodus à ses autres séries ne sont, pour l’instant, pas encore clairs, le titre constitue une porte d’entrée idéale pour découvrir ce nouveau label indépendant fondé par Johns.

Une humanité ayant causé la perte de sa propre planète d’origine a des fortes chances de reproduire les mêmes comportements destructeurs ailleurs, et c’est l’élément crucial que Geoff Johns apporte au thème de la colonisation spatiale dans Rook Exodus. Tandis que les animaux sont trop souvent considérés comme des êtres inférieurs sur Terre, les survivants d’Exodus doivent former une alliance d’égal à égal avec les bêtes pour assurer leur place sur cette colonie extraterrestre, ce qui ajoute une dimension écologique à la série. Le concept des Bergers, à qui une espèce animale a été attribuée en fonction de leur expérience et de leur compatibilité psychologique, est aussi extrêmement novateur et porteur.
Johns ne se contente pas de créer un monde unique pour son intrigue, il le peuple de personnages complexes et bien définis, à commencer par Rook, le dernier d’une lignée de fermiers de l’Illinois qui tentait ironiquement de repousser les assauts des corbeaux dans ses champs quand il était sur Terre et qui, aujourd’hui, en est le maître. Ses pouvoirs ne sont certes pas aussi impressionnants que ceux des Bergers contrôlant des ours, des buffles, des pumas ou d’autres animaux beaucoup plus puissants, mais en acceptant les liens avec ces oiseaux dont l’esprit se glisse parfois dans le sien, il parviendra finalement à créer une véritable symbiose le transformant en force de la nature.

Même si l’histoire de Rook Exodus n’avait pas été aussi prenante, l’album vaudrait encore la peine d’être lu, ne serait-ce qu’en raison des splendides illustrations de Jason Fabok. C’était d’ailleurs une excellente idée de la part d’Urban Comics d’imprimer le livre en grand format, ce qui permet de mettre en valeur, comme il se doit, le travail graphique de l’artiste sur la série. Végétation luxuriante, cité futuriste aux allures de cimetière géant, animaux aussi gigantesques qu’agressifs, chaque planche déborde de dynamisme, que Fabok agrémente de panoramas grandioses s’étalant sur des doubles pages et fourmillant d’une tonne de détails. C’est véritablement un pur plaisir pour les yeux.
Geoff Johns livre une fable écologique et épique avec Rook Exodus, qui pourrait bien être le meilleur titre de son label Ghost Machine jusqu’à maintenant, et grâce au coup de crayon de Jason Fabok, ce récit de colonisation spatiale n’a rien à envier à un film de science-fiction à grand déploiement.
Rook Exodus, de Geoff Johns, Jason Fabok, Brad Anderson et Rob Leigh. Publié aux éditions Urban Comics, 192 pages.