En temps normal, les vaccins à ARN seraient l’une de ces obscures innovations médicales évoluant très loin des préoccupations du public. Mais son association avec la COVID semble les avoir condamnés, tout au moins aux États-Unis, où tout ce qui concerne la COVID nourrit en ce moment une politisation de la recherche scientifique.
Comme le rappelait la revue Nature dans un reportage paru la semaine dernière, rien ne le laissait pourtant présager le 21 janvier dernier lorsque, au lendemain de son entrée à la Maison-Blanche, le nouveau président Trump avait annoncé un investissement du secteur privé de 500 milliards$ dans l’intelligence artificielle. Le milliardaire des technologies Larry Ellison avait à ce moment vanté une des retombées possibles de ces investissements : utiliser les vaccins à ARN pour révolutionner la lutte contre le cancer. L’IA, soulignait-il, permettrait d’analyser plus vite et plus efficacement la génétique d’une tumeur, et les chercheurs pourraient en théorie, à partir de là, concevoir des vaccins personnalisés.
Trois mois et demi plus tard, « vaccin à ARN » fait partie des mots-clefs qui ont signifié l’annulation de subventions de recherche; et les parlements de plusieurs États des États-Unis étudient des projets de loi qui interdiraient les vaccins à ARN. Dans le reportage de Nature, le directeur d’une firme de consultants en santé de Washington en parle comme d’une « menace existentielle » pour une technologie qui, de l’avis des scientifiques, pourrait pourtant représenter « la prochaine génération des vaccins et des thérapies ».
Une attaque malheureusement prévisible
Par contre, la réaction négative n’était pas si imprévisible. Celui qui, le 21 janvier, était pressenti comme secrétaire à la Santé, Robert F. Kennedy Jr, s’est présenté comme un antivaccin depuis longtemps et a accumulé les faussetés sur la COVID en général et les vaccins en particulier. Celui qui était pressenti comme directeur des National Institutes of Health, le plus gros organisme subventionnaire de la recherche médicale, Jay Bhattacharya, avait initialement, à la fin de 2020, vanté la percée que représentaient ces vaccins, puis avait remis en doute leur sécurité, dans une entrevue à un site conservateur l’an dernier.
Mais par-dessus tout, ces deux protagonistes s’inscrivaient dans un écosystème de la désinformation qui n’avait eu de cesse de démoniser les vaccins à ARN depuis leur introduction dans la lutte contre la COVID, à la fin de 2020. Des influenceurs sur les réseaux sociaux ont parlé de ces vaccins comme des « armes de destruction massive », qui auraient tué plus de gens que la COVID ou seraient utilisés pour modifier notre nourriture. L’intervention de Larry Ellison à la Maison-Blanche avait été immédiatement dénoncée par certains de ces influenceurs.
Des travaux en cours depuis longtemps
Or, ces vaccins sont le résultat d’expériences en cours depuis les années 1990, et qui représentent pour la médecine une percée d’une telle importance qu’elle a valu à deux de ses pionniers le Nobel de médecine en 2023 —ainsi que plusieurs autres prix scientifiques prestigieux. Une compilation parue dans The Lancet en septembre 2022 estimait que la vaccination contre la COVID — pas seulement les vaccins à ARN — avait sauvé 20 millions de vies. Aujourd’hui, des vaccins à ARN sont en développement contre la grippe et la malaria, entre autres. Et on entrevoit même des percées possibles contre le cancer: cette dernière idée circulait avant même la COVID, et des essais cliniques sont en cours depuis 2023. Une étude préliminaire parue en février dernier faisait état d’un taux de survie plus élevé chez les patients atteints d’un cancer du pancréas.
C’est qu’en théorie, la capacité d’introduire de l’ARN dans une cellule, qui est ce qui valu le Nobel à Katalin Karikó et Drew Weissman, pourrait servir autant à combattre des maladies infectieuses que des cancers. Le principe de base étant, dans les deux cas, d’envoyer à notre organisme les « instructions » nécessaires —par l’intermédiaire de ce qu’on appelle l’ARN messager— pour que le système immunitaire attaque efficacement un « ennemi ». Et cet ennemi pourrait être, toujours en théorie, un virus ou une tumeur.
Ce n’est pas, contrairement à ce qu’on a pu lire sur les réseaux sociaux, une thérapie génique, puisque celle-ci implique de modifier nos gènes et que l’ARN messager ne peut pas pénétrer le noyau de la cellule, là où sont nos gènes.
Dans son entrevue de l’an dernier, Bhattacharya déclarait qu’il « faudra deux ou trois découvertes dignes d’un Nobel de plus avant que ce soit prêt ». Une affirmation qui est en contradiction avec les critères du Comité Nobel: ces prix sont remis, non pas pour une découverte survenue l’année précédente, mais pour une ou des avancées scientifiques qui, 10, 20 ou même 30 ans plus tard, ont démontré leur caractère transformateur.
Drew Weissman lui-même, le co-lauréat du Nobel, qui est professeur à l’Université de Pennsylvanie, déclare qu’une de ses propres subventions de recherche a été annulée parce qu’elle mentionnait l’ARN messager, rapportait un récent reportage du New York Times. Également annulées, « une demi-douzaine » de subventions ailleurs dans son université, qui n’étudiaient pourtant que l’hésitation vaccinale.
S’il devait se confirmer que le NIH et les autres organismes subventionnaires se retirent de ce secteur de la recherche — ce qui semble être la direction préconisée par Bhattacharya — d’autres pays vont lui dérouler le tapis rouge, poursuivait Weissman : « la recherche va se poursuivre, mais elle va se poursuivre en Europe, en Asie et en Chine ». À ses yeux, la force des États-Unis a toujours été sa capacité à attirer les talent pour générer de nouvelles thérapies et de nouvelles technologies médicales. La nouvelle administration, déplore-t-il, « est en train de faire fuir tout cela ».