Un réseau internet rapide, fiable, mais surtout, sans dépendance envers les services et les fournisseurs américains. Et sans ciblage excessif des informations personnelles afin de financer tous ces produits « gratuits ». Une utopie? Ce n’est certainement pas l’avis de l’organisation OpenMedia, qui lance un appel aux différents partis politiques fédéraux, à quelques jours du scrutin.
« Nous voulons que le Canada ressorte de ce moment-ci en étant plus fort qu’auparavant », mentionne ainsi Matt Hatfield, directeur général au sein de cette organisation.
« Plus spécialement, nous voulons que notre réseau internet et nos droits numériques soient aussi solides que possible », ajoute-t-il, dans une entrevue accordée à Pieuvre.
M. Hatfield reconnaît que la liste de suggestions mise de l’avant par OpenMedia, au début d’avril, « peut avoir des airs de liste d’épicerie, mais ce sont tous des changements importants qui doivent être effectués, selon nous ».
« Dans la plupart des cas, il s’agit d’enjeux que le Canada a laissés de côté pendant, bien souvent, plus d’une décennie. Mais il y a aussi de nouveaux problèmes dont il faut nous occuper. »
Si le directeur général d’OpenMedia reconnaît que le gouvernement fédéral, qui possède le pouvoir d’agir dans ce domaine, via le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), est parfois intervenu dans divers dossiers, au cours des 10 dernières années, il est également d’avis que « ces gestes ont bien souvent été mal conçus, avec des conséquences à l’avenant ».
À preuve, dit-il, le projet de loi C-18, devenu la Loi sur les nouvelles en ligne, qui a entre autres poussé Meta à bloquer les nouvelles pour les Canadiens utilisant ses plateformes, laissant toute la place à la désinformation et aux fausses nouvelles.
Mais M. Hatfield juge surtout qu’Ottawa n’a pas eu les reins assez solides pour effectuer des réformes pourtant urgentes: « Voilà deux fois que le gouvernement tente de réformer la question de la vie privée, du côté du secteur privé, mais il n’a jamais été en mesure d’aller jusqu’au bout. »
« Et dans les rares cas où des entreprises sont effectivement reconnues coupables de violation de la vie privée, les amendes sont tout au plus de l’ordre de quelques millions de dollars, ce qui n’est rien, pour ces entreprises », mentionne encore M. Hatfield. Les GAFAM, après tout, regroupent certaines des entreprises les plus riches du monde, dont Apple et Google. Sans compter Meta, Amazon et Microsoft…
« Il faut que la loi soit appliquée de façon stricte et que les pénalités fassent mal », soutient Matt Hatfield.
Et pourquoi Ottawa n’est-il pas allé de l’avant, dans ce domaine, au fait? « Le gouvernement n’en a tout simplement pas fait une priorité », juge encore M. Hatfield.
« Dans plusieurs domaines, nous avons vu, au cours de la dernière décennie, le gouvernement fédéral lancer toutes sortes d’idées, mais s’avérer incapable de les concrétiser. Espérons que le prochain gouvernement, peu importe sa couleur, sera en mesure d’agir. »
En finir avec la « surveillance » en ligne
L’une des grandes revendications d’OpenMedia consiste à réaliser une cassure nette avec le modèle publicitaire actuel, sur le web, où chacun de nos gestes est généralement épié, et nos données personnelles vendues au plus offrant, afin de nous offrir des publicités toujours plus ciblées.
En échange, plusieurs compagnies offrent des services « gratuits », où c’est l’internaute qui est en fait le produit. C’est le cas pour une bonne partie des services de Google; c’est aussi le cas pour Meta, avec Facebook et Instagram, entre autres exemples.
« Personne ne veut s’éloigner de ce modèle, mais c’est ce que nous exigeons. Il est temps d’agir maintenant », soutient fermement Matt Hatfield.
Comment s’éloigner de ce modèle d’affaires qui perdure depuis plus de 20 ans? « Il n’est pas question de faire disparaître les publicités; vous pourriez encore afficher des annonces, mais il faut cesser d’espionner la population », indique M. Hatfield.
« Mais le status quo n’est pas tenable, d’autant plus que les agents basés sur l’intelligence artificielle vont être en mesure d’utiliser les informations recueillies pour cibler le public de façon encore plus efficace, et donc de façon encore plus invasive. »
Pas une « bénédiction », mais une « opportunité »
Dans la foulée du retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, et avec les menaces d’annexation du territoire canadien, sans compter les tarifs et contre-tarifs, une situation chaotique qui a permis de rappeler que les gens du web sont tous américains, s’agit-il d’un bon moment pour qu’OpenMedia fasse progresser son plan d’« indépendance » numérique?
« Ce n’est pas une bénédiction, mais nous voyons cela comme une opportunité », tempère M. Hatfield.
« Il faut prendre notre souveraineté et notre démocratie au sérieux. Nous avons peut-être été un peu trop naïfs, au Canada, en pensant que les choses demeureraient sensiblement les mêmes, même si plusieurs dossiers n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritaient. Et maintenant, il est temps d’agir sérieusement. »
Comme le rappelle d’ailleurs le directeur général d’OpenMedia, « le Canada est particulièrement vulnérable, face aux États-Unis, en ce qui concerne les données; même en transférant des fichiers du Québec vers l’Ontario, vos informations peuvent transiter par les États-Unis. Toute sorte d’espionnage que Washington pourrait effectuer, de façon légale ou non, pourrait cibler vos données ».
« Et cela, c’est sans compter les services web, comme ceux d’Amazon, qui englobent une vaste part de tous les sites web, et qui sont généralement basés en territoire américain. »
Matt Hatfield se défend bien de réclamer une « autarcie numérique canadienne »: « Nous ne pouvons pas tout faire, au Canada. Mais nous devons poser des gestes pour nous assurer que nos systèmes fondamentaux peuvent fonctionner à l’intérieur du pays, dans un avenir proche. Nous n’en sommes pas encore rendus là, en ce moment. »
Qui paiera?
L’une des revendications principales d’OpenMedia consiste à brancher « tous » les Canadiens à un réseau à haute vitesse. Mais en raison de l’énormité du territoire national, et de la dispersion de la population, une telle entreprise pourrait coûter des milliards. qui paiera la note?
« Oui, cela peut coûter cher pour connecter les régions rurales; voilà pourquoi les gouvernements, autant fédéral que provinciaux, ont subventionné le développement des réseaux. Dans certains cas, il faudra consacrer plus d’argent à ces programmes; dans d’autres situations, c’est une question d’imposer des demandes plus strictes aux compagnies privées responsables de ces connexions », mentionne M. Hatfield.
« Malheureusement, le secteur privé fait bien souvent le strict minimum, et la population se retrouve avec une connexion très lente pour les prochaines décennies. Il n’y a pas vraiment d’incitatif pour que ces entreprises investissent à long terme, en région. C’est là où le gouvernement pourrait intervenir pour imposer des normes strictes. »
Pourtant, indique encore le directeur général d’OpenMedia, il y a péril en la demeure: « Avec ce qui se passe au sud de la frontière, il faut se montrer prévoyants. Que se passerait-il si, demain, on nous disait que l’infonuagique n’est pas accessible? Que Google Drive est hors service? Notre économie ne pourrait pas fonctionner. Nous devons nous assurer que nous aurions au moins un plan B. »