L’autrice de théâtre Rébecca Déraspe fait décidément feu de tout bois: outre le texte de la fort divertissante adaptation d’Orgueil et préjugés, voilà qu’elle signe aussi Janette, une pièce mi-hommage, mi-drame historique à propos de l’inépuisable Janette Bertrand, qui fêtait récemment ses 100 ans.
De 1925 à nos jours, Mme Bertrand aura traversé presque toutes les époques marquantes du dernier siècle: de la naissance dans la pauvreté – et son combat contre la tuberculose – à ses grandes luttes pour l’émancipation des femmes, en passant par la défense des droits des membres de la communauté LGBTQ+, sans oublier son aide apportée aux personnes ayant des envies suicidaires, il y a peu de grandes causes sociales, au Québec, auxquelles elle n’a pas accordé de son énergie, une ressource en apparence inépuisable.
Et sur la grande scène de Duceppe, c’est Guylaine Tremblay, sous les traits de celle qui semble être immortelle, qui racontera sa vie, le tout émaillé d’interactions avec ses collègues comédiens et comédiennes.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Janette se décline sous une forme… surprenante. Non seulement les comédiens semblent jouer leur propre rôle, mais on a aussi aménagé des tables de chaque côté de la scène. Tables où des membres du public ont été invités à prendre place, histoire qu’on leur serve un repas bâti à partir de véritables recettes de Janette Bertrand. Chaque plat est d’ailleurs l’occasion de changer d’acte, de période historique, etc.
Sur le fond, impossible de nier l’immense apport de Janette Bertrand à la société québécoise. Elle est ainsi, en quelque sorte, le visage de toutes ces femmes qui se sont battues, pendant des décennies, pour faire progresser leur cause et obtenir les droits dont elles avaient été privées pendant si longtemps. Et que dire des parents, des personnes membres de la communauté LGBTQ+, de ceux et celles qui souffrent de problèmes de dépression, ou simplement les gens qui cherchent l’amour (avec ou sans grand A, c’est selon)?
Sur la forme, cependant, si l’on voit peut-être, ici, le personnage de Mme Bertrand comme une grand-mère particulièrement sympathique qui a eu plus que sa dose de vécu, les nombreux changements de ton sont parfois déroutants. Passer, par exemple, de la lutte pour l’égalité hommes-femmes à une recette de rôti de palette est quelque peu déstabilisant.
Faut-il, pour véritable comprendre et apprécier Janette, avoir grandi, vieilli, ou encore bâti une famille avec Mme Bertrand? Faut-il avoir écouté religieusement ses différentes émissions? Si tel est le cas, alors le spectacle s’adresse aux membres de la génération des parents de ce journaliste, ainsi qu’aux personnes plus âgées.
Cela n’enlève rien à la qualité de l’oeuvre, et tant mieux s’il est possible de rendre hommage à ces figures de proue de notre histoire récente, surtout si ladite figure de proue est toujours vivante et peut ainsi apprécier tout ce travail accompli par Mme Déraspe.
Il ne fait aucun doute, en effet, que Janette est un hommage fort bien senti, le genre d’oeuvre rassembleuse qui charmera assurément le public. Toutefois, il aurait peut-être été encore plus intéressant de se concentrer davantage sur le côté dramatique de cette vie bien remplie, plutôt que sur les recettes. Qu’à cela ne tienne, l’oeuvre est poignante, réconfortante… un baume en ces temps difficiles.
Janette, de Rébecca Déraspe, mis en scène de Jean-Simon Traversy
Avec Guylaine Tremblay, Normand Chouinard, Zoé Lajeunesse-Guy, François-Simon Poirier, Sébastien Rajotte, Lorenzo Somma, Phara Thibault et Cynthia Wu-Maheux
Chez Duceppe, jusqu’au 17 mai