Quelle est la « bonne » version de la langue française? Celle de Paris? Celle de Montréal? De Dakar? Pourquoi pas celle de Moncton? Dans Parler mal, Bianca Richard et Gabriel Robichaud s’interrogent sur leur identité néo-brunswickoise, mais surtout acadienne. Une identité malmenée, surtout en ce qui concerne leur déclinaison de la langue de Molière.
Car si la langue est très souvent la pierre d’assise d’une identité nationale, les deux auteurs, metteurs en scène et interprètes, qui inscrivent d’ailleurs leur oeuvre dans un corpus rassemblant aussi des balados et un documentaire destiné à la télé, tentent tant bien que mal de trouver leur place.
Après tout, les Acadiens ont été largement déportés par les Britanniques, au 18e siècle; ceux qui sont restés au pays cohabitent avec les anglophones dans la seule province officiellement bilingue du Canada, mais où le respect et la protection du français sont toujours fragiles.
Pire encore, non seulement la population acadienne a-t-elle souffert de discrimination politique, économique et linguistique, mais leur français, le fameux chiac (entre autres dialectes francophones de la région), est souvent pris de haut par les habitants du Québec voisin. Mâtiné d’anglais et de vieux français, ce chiac est malheureusement perçu comme « inférieur » au français québécois.
Pour s’adapter et mettre toutes les chances de son côté pour trouver un boulot, faut-il « corriger » son accent? Qu’est-ce que cela veut dire, alors, si cet héritage culturel et langagier est mis de côté au profit d’une autre population qui, elle aussi, se perçoit déjà comme étant menacée par une langue encore plus omniprésente?
En s’amusant franchement avec les codes du docu-théâtre, dans ce qui est appelé docufiction théâtrale, Bianca Richard et Gabriel Robichaud semblent vouloir non seulement mettre leurs tripes sur la table, mais aussi lancer quelques pavés dans la mare parfois obstinément tranquille du débat linguistique et culturel national.
À l’instar d’Oh! Canada, une oeuvre similaire qui s’intéresse à la francophonie canadienne dans son ensemble, Parler mal veut brasser la cage tout en informant. Réveiller, en quelque sorte, ces Québécois francophones qui sont à la fois confortés par la relative solidité de leur société, mais dont la volonté de protection de la langue provoque bien souvent des dégâts collatéraux, notamment en insistant sur un « purisme » artificiel.
Parler mal n’apporte pas nécessairement de réponse. Du moins, pas « la » réponse que semblent espérer les deux créateurs du spectacle. Mais leur parcours, leurs sentiments, leurs réflexions, tout cela contribue à créer une oeuvre poignante et émouvante qui gardera bien vivant ce questionnement sur l’épineux enjeu linguistique. Et c’est tant mieux.
Parler mal, texte, mise en scène et interprétation par Bianca Richard et Gabriel Robichaud
Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 26 avril