Que serons-nous? Cette question, en apparence insoluble – du moins dans le détail – se retrouve au coeur de la prochaine saison du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTDA), dont la programmation a été dévoilée récemment. Rencontre avec le directeur artistique des lieux, Sylvain Bélanger.
Le « devenir » occupe donc le centre, le point nodal de ces 11 spectacles qui seront présentés tout au long de la saison 2023-2034, indique M. Bélanger au bout du fil.
« C’est une question fondamentale à laquelle il est difficile de répondre, parce que c’est quelque chose qui est en train de se passer en direct, nous n’avons pas le recul… Et nous aimons mieux définir, dans la vie », explique-t-il.
« On aime mieux soit régler une définition de nous-mêmes, ou aspirer à une définition de nous-mêmes; peut-être sommes-nous ni l’un, ni l’autre, finalement! Évidemment que là-dedans, il y a de l’insécurité, mais ce que j’ai surtout découvert dans les histoires [qui seront présentées au CTDA], c’est énormément de courage. »
M. Bélanger situe ainsi ces nouvelles pièces dans le contexte de la pandémie, avec « cette volonté de sortir de la solitude et des chambres d’écho » créées par l’isolement lié à la COVID-19 et aux mesures sanitaires.
« J’ai senti des artistes qui avaient envie de faire des choix, un désir de rompre, de casser – j’ai senti de l’indiscipline, comme une forme de [rébellion], une envie de brasser, de crier, mais surtout d’effectuer des choix déterminants. C’est comme si les gens avaient eu le temps de prendre des décisions éclairées, décisions qu’ils avaient envie de prendre depuis longtemps », ajoute-t-il.
« Quand nous nous sommes rendu compte de cela, en fabriquant la saison qui allait venir, nous avons resserré le tout autour de la question des devenirs », poursuit M. Bélanger.
D’ailleurs, ce dernier signe, en compagnie de Sophie Cadieux, la première pièce de la prochaine saison, Les mutant.es, une oeuvre où le coeur éditorial de la chose tourne justement autour de la question des devenirs, avec ces anciens étudiants qui se retrouvent, de nombreuses années après voir terminé l’école.
Parler de ce qui se passe ici et maintenant
Qu’il s’agisse des questions des relations entre les générations, de l’exploration des questions de genre, ou encore des différences en matière d’origine, de valeurs et de vision du monde, la programmation 2023-2024 vise large, et laisse toute la place à ces enjeux contemporains.
Sylvain Bélanger le reconnaît, d’ailleurs : le milieu théâtral a, pendant un temps, été « tellement en retard » sur les questions de la diversité lorsque venait le temps de présenter des pièces sur les planches. « J’ai vécu les 18 premières années de ma vie dans un monde multiethnique qui n’a pas suivi dans mon milieu lorsque j’ai commencé à faire ce métier-là. Moi-même, j’ai senti le fossé entre mon milieu et le Québec, ou même Montréal, ce que la métropole était en train de devenir », mentionne-t-il.
« Quand on a ça sur scène, on a un grand pouvoir de représenter, alors c’est certain que c’est apparent. Et donc, peut-être qu’on peut se dire « oh mon dieu, il y a deux paroles féminines noires au Théâtre d’Aujourd’hui… est-ce que c’est un statement? ». Mais moi, c’est plus une histoire en continu que j’ai envie d’écrire, par rapport à ça, plutôt que de faire un coup de pub. »
C’est sûr que dans un théâtre dit d’aujourd’hui, j’ai volontairement envie de voir sur scène ce que je vois dans le métro. Et d’entendre sur scène de nouvelles langues qui sont fortement influencées dans d’autres cultures.
-Sylvain Bélanger, directeur artistique du CTDA
« Oui, cela peut avoir l’air d’une cassure, de quelque chose de spectaculaire; moi, ce qui me passionne, c’est de faire des liens dans les trajectoires théâtrales qui nous viennent d’ailleurs. »
Voilà donc le rendez-vous, ou plutôt les rendez-vous auxquels le CTDA convie les spectateurs. Histoire, indique-t-on, de réaffirmer le vocable « d’Aujourd’hui » qui fait partie intégrante de son nom.