Il y a parfois de ces étranges hasards qui se doivent d’être mentionnés; ainsi, au moment où le GIEC, le groupe de scientifiques liés aux Nations unies et oeuvrant sur la question climatique, publie son rapport le plus alarmant à ce jour sur l’urgence de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles, l’auteur François Archambault, lui, s’apprête à voir sa création, Pétrole, prendre vie sur les planches de Duceppe. Entrevue.
La pièce est présentée maintenant, certes, au moment où l’urgence climatique est plus que jamais d’actualité, mais son contenu se déroule en 2018: après l’éclatement de feux de forêt en Californie, on soupçonne Jarvis Larsen, pourtant un scientifique respecté, d’avoir allumé les brasiers. Ancien idéaliste, M. Larsen est recruté en 1979 par une pétrolière pour donner son avis sur les impacts environnementaux de la combustion de pétrole. De fil en aiguille, il semble fort probable que l’individu ait rapidement perdu ses illusions…
« Pour remettre la pièce dans son contexte, il faut reculer dans le temps; j’ai été approché par les nouveaux directeurs de la compagnie Duceppe, Jean-Simon Traversy et David Laurin, quand eux sont entrés en poste… Et l’un de leurs premiers gestes, en tant que directeurs artistiques, fut d’ouvrir une résidence d’écriture. Ils voulaient inviter des auteurs à écrire pour la compagnie, et m’ont approché en ce sens », mentionne M. Archambault au bout du fil.
« J’ai dit oui; je trouvais super intéressant de faire partie de cette nouvelle aventure avec eux », poursuit l’auteur.
« Ils m’ont ainsi dit que je pouvais profiter du grand plateau de Duceppe pour intégrer beaucoup de personnages, d’en faire une fresque… Quelque chose d’ambitieux, comme projet. J’ai décidé de vraiment aller de l’avant en ce sens. En 2018, j’ai commencé à travailler sur un projet portant sur la politique canadienne. J’essayais d’imaginer une pièce qui se déroule dans le futur, un futur plus ou moins éloigné, dans lequel un politicien est catapulté au pouvoir et décide de changer les choses, parce que c’est un jeune idéaliste qui veut s’attaquer aux problèmes environnementaux. »
En fait, comme l’explique M. Archambault, il était question de savoir s’il est possible de changer les choses de l’intérieur. « Au cours de l’écriture, j’ai été un peu bloqué; je trouvais ça difficile d’écrire dans une perspective où j’essayais d’imaginer l’avenir, et je trouvais ça un peu étouffant, d’imaginer des catastrophes… Par ailleurs, quand on écrit, on est conscient du public auquel on s’adresse, et là, j’avais l’impression que ça devenait très lourd, très désespérant, et tout ça. Je cherchais donc un autre angle pour raconter la même histoire », poursuit l’auteur.
L’avenir du passé
L’inspiration est venue sous la forme d’un dossier du New York Times qui a été publié en août 2018, et qui évoquait certains des premiers scientifiques et militants, aux États-Unis, qui ont commencé à s’intéresser aux changements climatiques. « En lisant le dossier, je trouvais ça intéressant, parce que ça racontait comment ces gens se sont mobilisés pour s’attaquer à ce problème-là, qui était quand même assez lointain, à l’époque. Et ça me permettait de mettre des personnages en action. On dirait que ce pas de recul amenait un peu de légèreté dans ma possibilité de faire un récit avec cela. »
François Archambault ne cache pas son intérêt envers la cause environnementale; après tout, qui a envie de vivre dans un monde où les conditions deviendront invivables d’ici quelques décennies? Mais il constate aussi qu’avec la pandémie, les enjeux liés à la pollution ont pris un pas de recul devant l’urgence sanitaire. « Le simple fait que nous ne pouvions plus nous réunir » a torpillé la mobilisation citoyenne en faveur d’un mode de vie plus vert, dit-il.
Toujours selon M. Archambault, Pétrole est un théâtre « social », qui vise à divertir, certes, mais aussi pour conscientiser. Mais à trois ans de l’échéance en matière de réduction de l’utilisation des énergies fossiles, selon le GIEC, une pièce du genre a-t-elle encore sa place? « C’est prétentieux de vouloir changer les choses avec une pièce de théâtre, mais en même temps… C’est ça que je sais faire! », lance l’auteur de l’oeuvre.
« Ma job, c’est de raconter des histoires, de trouver des sujets qui sont porteurs à travers lesquels peuvent se reconnaître les spectateurs. Le danger serait de se dire « il est trop tard »… C’est la ligne entre être lucide et garder l’espoir. Mais je crois que même s’il est tard, il faut quand même agir, d’autant plus que là, il est question de limiter les dégâts de la crise climatique », ajoute-t-il.
« Ce qui m’a vraiment choqué, en lisant le rapport du New York Times, c’est que nous avions une belle opportunité devant nous, nous avions facilement 40 ans pour opérer la transition, et là, nous sommes pris dans un scénario à effectuer tous les progrès prévus sur 40 ans en seulement 3 ans. »
Pétrole, de François Archambault, présenté à Duceppe du 13 avril au 14 mai