La possibilité de traquer le coronavirus à partir des eaux usées a fait parler d’elle ces dernières semaines, mais elle n’est qu’un volet des recherches actuellement menées pour traquer virus et contaminants dans l’eau potable. Notamment à l’heure des changements climatiques.
On en a en effet parlé ces dernières semaines au Québec, lorsque le gouvernement a annoncé l’arrêt du programme qui scrutait la présence du virus dans les eaux usées —un projet pilote qui était en cours depuis janvier 2021.
Or, un récent article du New York Times révélait que de nombreuses villes américaines s’étaient déjà dotées de tels systèmes de surveillance, comme Boston, New York, Denver, San Diego et St-Paul. Le « National Wastewater Surveillance System », lancé à l’automne 2020 avec le soutien de l’agence fédérale en charge du contrôle des maladies (Centers for Disease Control, ou CDC), mettra bientôt en ligne les données recueillies chaque jour sur le site du CDC. Et 500 nouveaux points d’échantillonnage seront ajoutés à travers le pays.
« L’utilité concrète des données de la vigie dans la gestion de la pandémie s’illustre d’une façon très convaincante à Houston, où des efforts additionnels ont été déployés pour vacciner les personnes d’un quartier où le signal viral dans les eaux usées était particulièrement élevé », souligne le professeur en génie des eaux de l’Université Laval, Peter Vanrolleghem.
Le Québec aurait pu se doter d’une telle vigie québécoise des eaux usées de la Covid-19 pour suivre l’évolution des « vagues » de la pandémie et même identifier rapidement les variants. De la même façon qu’on peut le faire pour la détection des drogues et des médicaments, l’identification des traces de virus morts dans les eaux usées donne en effet une information pertinente.
« Cela permet de suivre les traces des particules virales, et de les identifier bien avant que n’apparaissent les symptômes des maladies. Cela nous permet d’anticiper ce qui s’en vient », explique le chercheur.
Peter Vanrolleghem a mené en 2021, pendant six mois, une opération de surveillance à Montréal, Laval et Québec. Ce projet pilote, financé par les Fonds de recherche du Québec, a permis de détecter la 3e vague avant que le Québec ne la subisse, et de même avec la 4e. « Dès le 23 mars 2021, on voyait que cela montait et c’est devenu rouge foncé au 31 mars. La hausse des cas était très claire et aurait pu être utilisée pour la prise de décision », soutient le chercheur.
Toutefois, malgré des discussions avec le ministère, cette opération de surveillance s’est donc terminée en décembre, par manque de financement. « Nous aurons perdu l’expertise dans quelques mois, tandis que les municipalités sont prêtes à emboîter le pas. Alors pourquoi choisir d’être aveugle sur ce type de suivi de la pandémie? », s’interroge le chercheur.
Et la gestion de l’eau potable?
L’idée d’étudier les eaux usées pour combattre des virus et des contaminations n’a pas commencé avec cette pandémie. Pour éliminer les virus et les contaminants de l’eau potable, il faut tester les traitements les plus efficaces et s’adapter aux conditions changeantes, particulièrement à l’heure des changements climatiques.
Il faut notamment se rappeler que de nombreuses communautés des Premières Nations attendent encore un meilleur accès à l’eau potable – une entente de principe a été signée en juillet dernier afin de régler les recours collectifs.
Les épisodes de neiges abondantes et les débordements printaniers liés aux fortes pluies, se traduisent par exemple par des pics microbiens dans les prises d’eau potable. Une étude québécoise, publiée en 2021 dans Water Research X, a étudié ces fluctuations des concentrations virales dans l’eau et leur élimination par divers procédés de traitements à grande échelle.
« Les municipalités doivent améliorer leurs traitements des eaux par des technologies de gestion intelligentes, comme des réseaux de neurones artificiels permettant de prévoir les pointes de contaminations près des prises d’eau potable », explique l’associé de recherche de Polytechnique Montréal et auteur principal de l’étude, Émile Sylvestre.
Les chercheurs ont réalisé des campagnes d’échantillonnage au sein de deux usines traitant l’eau de la rivière des Milles-Îles. Avec ses 40 km de long et son débit moyen de 286 m3 par seconde, il s’agit d’un des plus importants cours d’eau de l’archipel de Montréal.
Les prises d’eau potable se retrouvent respectivement au milieu et à l’extrémité ouest de la rivière. Celle-ci et ses affluents reçoivent l’influence directe d’une série de petits bassins hydrographiques hébergeant 184 sorties d’égouts et 14 usines municipales de traitement des eaux usées.
La crue printanière, entre février et avril dans le sud du Québec, s’avère la période critique pour les pics microbiens. Au cours de la période couverte par l’étude, Les concentrations de virus ont augmenté lors de deux épisodes de fonte de neige et de pluie et à la suite d’un rejet (prévu) d’eaux usées en amont de la prise d’eau potable. Un pic a aussi eu lieu par temps sec.
« Notre méthode permet de valider la réduction des virus par différentes méthodes de traitements à grande échelle – donc, en usine plutôt qu’en laboratoire – et de quantifier la réduction pour différents types de virus. Cela aide donc à déterminer quels sont les virus les plus difficiles à réduire », explique Émile Sylvestre.
À l’heure des changements climatiques
La multiplication des évènements météorologiques extrêmes et l’accroissement des précipitations qu’entraînera le réchauffement forcera ceux qui veillent sur la qualité de l’eau à ajouter un procédé de traitement pour contrôler une augmentation de la contamination microbienne – par exemple, la désinfection UV.
« Pour l’instant, nous en sommes encore à l’étape du développement des outils permettant d’évaluer cette question, comme la modélisation des impacts des changements climatiques sur la qualité de l’eau de source », relève le jeune chercheur.
Santé Canada a d’ailleurs publié en 2019 une mise à jour de ses recommandations pour contrôler la qualité de l’eau potable.