Avec la COVID, la vente d’antimicrobiens a grimpé en flèche et, avec elle, les préoccupations environnementales sur les impacts de ces produits.
À la recherche d’un composé chimique plus doux pour l’environnement et efficace contre les microorganismes, une équipe de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) a pisté une molécule qu’elle dit prometteuse pour la conception d’un tensioactif ou surfactif (surfactant, en anglais), qui est l’élément actif du détergent.
C’est un peu le serpent qui se mord la queue : un futur savon biologique fait de molécules produites par des bactéries… susceptibles d’éliminer des bactéries! « Il s’agit d’une première étape, car nous ne l’avons pas cultivé à grande échelle », relève le chercheur du Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie de l’INRS, Charles Gauthier.
La recherche est parue dans Chemical Science, une revue révisée par des pairs. Pour se passer des dérivés de pétrole composant les actuels détergents, l’équipe a commencé par s’intéresser à la famille des rhamnolipides, des molécules produites par des bactéries, plus particulièrement une bactérie, Pseudomonas aeruginosa, qui est toxique pour l’homme.
Ces molécules s’avèrent amphiphiles – susceptibles de se lier et de repousser les molécules d’eau. Cela a pour conséquence que, comme pour tous les savons, ces molécules ont la propriété de s’infiltrer dans l’eau et de détacher la saleté d’un tissu. À la différence de la plupart des savons toutefois, elles sont biodégradables et donc, peu polluantes.
Reste qu’elles sont produites par une dangereuse bactérie qui résiste aux antibiotiques.
Les chercheurs ont alors choisi d’explorer les molécules voisines, des ananatosides produites par la bactérie Panotoea ananatis. Celle-ci n’est pas un pathogène pour l’homme, elle infecte plutôt certaines plantes, dont l’ananas. Ces molécules existent sous deux formes (A et B). Mais « la version fermée (B) devient toxique et moins efficace que l’autre (A), la version ouverte, la plus prometteuse à ce stade », pointe Charles Gauthier.
Les bactéries représenteraient donc un bon réservoir pour la conception de « savons biologiques ». Il faut toutefois s’assurer de leur stabilité et de leur non-toxicité. Et pas seulement ça: « Les coûts de production sont aussi à envisager pour une éventuelle poursuite de ces projets à grande échelle ».
Une élégante découverte
Les produits tirés de plantes, d’animaux, d’algues, de champignons ou de bactéries, présentent souvent des propriétés biologiques intéressantes, commente le titulaire de la chaire en chimie médicinale et épigénétique et professeur au département de chimie de l’UQAM, Alexandre Gagnon.
L’ananatoside A est un composé appartenant à la famille des rhamnolipides. « Toutefois, les rhamnolipides sont généralement produits à partir de bactéries pathogènes pour l’humain, ce qui limite grandement leur utilisation », précise l’expert.
La synthèse de l’ananatoside représente à ses yeux un accomplissement majeur en raison de la complexité moléculaire du composé. « Il faut contrôler la stéréochimie, c’est-à-dire la disposition dans l’espace de chaque atome, en plus de contrôler avec précision la connectivité des atomes entre eux. On dit souvent dans le domaine de la chimie que la synthèse organique est un art; ici, on constate très bien la beauté et l’élégance de la synthèse effectuée », souligne-t-il.
À l’instar de plusieurs produits naturels, les rhamnolipides possèdent souvent des propriétés antibactériennes mais ni l’ananatoside A pur ni ses analogues n’ont démontré d’activité antibactérienne. « L’équipe du Pr Gauthier a trouvé que l’ananatoside A avait la capacité d’inhiber la croissance des cellules dans des concentrations se situant dans le micromolaire (une concentration très petite, 10−6). Ils ont cependant déterminé, in vitro, que l’activité est due à un mode d’action non spécifique de ce composé, qui brise la membrane de la cellule cancéreuse. Ceci est problématique puisque le composé ne sera pas sélectif vis-à-vis des cellules cancéreuses et risque de tuer aussi les cellules saines», relève encore Alexandre Gagnon.
Il reste donc du chemin à faire avant d’avoir un détergent, mais en l’état, ce type d’études biologiques permet d’avancer les connaissances sur ce type de composés qui offrent un potentiel pour améliorer certains de nos produits ménagers: fort utiles, mais très polluants.