Le Gulf Stream serait à son niveau le plus faible en 16 siècles. Depuis la parution de cette estimation, en février, on n’en a guère appris davantage: sommes-nous au bord d’un changement fondamental des systèmes climatiques mondiaux, ou s’agit-il d’une anomalie statistique?
La question ne concerne pas que les résidents des deux côtés de l’Atlantique: bien que le Gulf Stream soit ce qui transporte, en surface, des eaux chaudes des Antilles jusqu’en Europe — puis ramène vers le Sud, en profondeur, l’eau froide de l’Arctique — il fait partie d’un ensemble plus vaste de courants océaniques, courants qui jouent un rôle vital dans la redistribution de chaleur tout autour de la planète.
Les auteurs de l’étude parue le 26 février dans Nature Geoscience, ont fait une « reconstruction » de l’évolution du Gulf Stream depuis l’an 400 jusqu’à aujourd’hui, sur la base d’indicateurs des climats passés emprisonnés dans les sédiments ou dans les données météorologiques récentes. Leur conclusion: le Gulf Stream — ou Atlantic Meridional Overturning Circulation — aurait été relativement stable jusqu’au milieu ou la fin du 19e siècle. Il aurait depuis commencé à ralentir. Et comme bien d’autres scientifiques avant eux, les auteurs pointent le réchauffement climatique.
Comme les courants océaniques servent en quelque sorte de thermostat à la planète, transportant la chaleur en surface et le froid dans les profondeurs, un ralentissement ou même un arrêt de ces courants, aurait des conséquences importantes… mais difficiles à prévoir. La dernière fois qu’une inversion de ce « tapis roulant océanique » a eu lieu, c’était à la fin de l’ère glaciaire: deux immenses calottes de glace — surplomblant une partie de l’Europe et de l’Asie d’un côté, et de l’Amérique du nord de l’autre — avaient fondu. La quantité d’eau douce et plus froide déversée dans l’Atlantique avait été telle que le « tapis roulant » s’était interrompu: au point de ralentir ou même inverser le réchauffement climatique en cours en Europe.
Le même scénario serait-il en train de se répéter avec la fonte de la calotte glaciaire du Groenland? C’est l’hypothèse des chercheurs depuis deux décennies, mais là s’arrête la comparaison: aussi gigantesque que soit la quantité de glace impliquée, elle est loin de celle des deux calottes glaciaires de jadis.
Reste que l’impact pourrait être ressenti partout dans le monde, et pas juste avec la température. Cela pourrait se traduire par des « blocages anticycloniques » plus fréquents, c’est-à-dire ces configurations atypiques des courants aériens qui entraînent des anomalies de températures ou de précipitations dans une région donnée pendant des jours, voire des semaines. Impliquant à leur tour des froids anormaux pour une région, et des canicules prolongées (doublées de sécheresses) dans la même région.
Selon Stefan Rahstorf, auteur principal de la recherche de février, au rythme actuel du réchauffement planétaire, le Gulf Stream devrait ralentir d’un tiers d’ici 2100. Quant à savoir s’il y aura un point de basculement au-delà duquel ce ralentissement deviendra irréversible, les paris sont ouverts.