Les organisations s’opposant à la lutte contre les changements climatiques obtiennent une plus grande couverture médiatique que celles qui veulent combattre les émissions polluantes et l’effet de serre, selon une nouvelle étude de l’Université Brown.
Rachel Wetts, professeure adjointe au sein du département de sociologie de l’université, a analysé près de 30 ans de communiqués et d’articles portant sur les changements climatiques. Environ 14% des communiqués s’opposant à la lutte contre l’urgence climatique ou niant la science derrière ce phénomène ont obtenu une importante couverture médiatique aux États-Unis, a-t-elle constaté, comparativement à environ 67% des communiqués contenant des messages pro-environnement.
Les conclusions de ces travaux pourraient expliquer pourquoi les Américains semblent moins s’inquiéter de la menace croissante des changements climatiques que d’autres citoyens de pays occidentaux, affirme Mme Wetts, et pourquoi les décisions politiques américaines en lien avec la lutte contre l’urgence climatique sont si souvent enlisées ou ralenties.
« Lorsque vous demandez aux Américains ce qui les inquiètent le plus, les changements climatiques et l’environnement sont toujours en fin de liste », dit Mme Wetts. « La façon dont l’urgence climatique a été couverte dans les médias pourrait nous aider à comprendre pourquoi il y a tant de désengagement du public sur cette question. »
L’étude a été publiée lundi dans Proceedings of the National Academy of Sciences.
L’impact des médias
La chercheuse dit avoir débuté ses travaux pour comprendre à quel point la couverture des enjeux climatiques, par les médias traditionnels, peut jouer sur la perception nationale à propos de ce dossier.
Pour commencer, elle a évalué et catégorisé des milliers de communiqués publiés par des entreprises, des organisations militantes, des chercheurs scientifiques, des regroupements économiques et le secteur publique, entre 1985 et 2013, pour déterminer si les communiqués en question appuyaient ou s’opposaient à la lutte aux changements climatiques.
Elle a ensuite utilisé une technologie de détection des copies pour évaluer tous les articles sur les changements climatiques publiés dans le New York Times, le Wall Street Journal et le USA Today, les trois journaux américains ayant le plus de lecteurs, pour déterminer combien de ces communiqués avaient été couverts par des journalistes.
Si à peine 10% des communiqués retrouvés par Mme Wetts contenaient des messages climatosceptiques, ces communiqués plus rares étaient deux fois plus à risque d’être couverts par les médias que les messages pro-environnement, qui étaient beaucoup plus nombreux.
La chercheuse a également découvert que les communiqués des grandes entreprises avaient plus de chances d’être couverts par les médias, tout comme ceux des groupes représentant des intérêts économiques. Environ 16% des communiqués publiés par des coalitions d’entreprises et des organisations commerciales ont été couverts, comparativement à environ 9% des messages d’autres genres d’organisations.
« Les opinions des grandes entreprises et des climatosceptiques ont droit à une opportunité disproportionnée de modifier l’équilibre du débat », soutient Mme Wetts.
Cette dernière dit aussi avoir été surprise de constater que les organisations spécialisées en science et en technologie, comme IBM, l’Académie américaine des arts et des sciences, ou encore le Lawrence Livermore National Laboratory, font partie de ceux qui avaient le moins de chances de voir leurs propos être rapportés dans les médias, avec une couverture de seulement 2,9% de leurs communiqués.
Vous pourriez penser, à tout le moins, que des entreprises possédant une plus grande expertise scientifique recevraient plus de couverture média. Mais j’ai plutôt constaté que c’est l’inverse qui était vrai.
-Rachel Wetts
Toujours selon la chercheuse, les résultants tendent à renforcer l’opinion voulant que les grands médias fassent preuve d’une « fausse objectivité » en donnant autant de poids aux deux aspects d’un débat, même lorsque l’un de ces aspects n’est pas aussi répandu que l’autre, ou ne repose pas sur des preuves solides.
« Les journalistes semblent penser qu’ils doivent toujours inclure des voix opposées lorsqu’ils parlent de changements climatiques », poursuit Mme Wetts. « Mais parfois, ils donnent tant de poids à ces voix opposées qu’ils poussent les lecteurs à croire que le climatoscepticisme est plus qu’un point de vue marginal. »
La couverture médiatique qui offre une couverture égale aux climatosceptiques fait plus que modifier la perception du public, mentionne encore la chercheuse. Elle pourrait aussi pousser les décideurs et les dirigeants politiques à modifier les gestes posés pour combattre les changements climatiques.