En plus des médias partisans et des blogues à saveur politique, il existe une autre source surprenante de désinformation à propos de sujets controversés: vous-même. Une nouvelle étude a ainsi révélé que les gens recevant des statistiques exactes sur des questions controversées avaient tendance à les modifier pour qu’elles correspondent à leurs croyances et partis pris.
Par exemple, lorsque des gens prennent connaissances de données indiquant que le nombre d’immigrants mexicains vers les États-Unis a récemment diminué, ce qui est vrai, mais va à l’encontre des croyances de plusieurs personnes, ces gens tendent à se rappeler l’inverse.
Et lorsque des individus transmettent cette fausse nouvelle récemment créée, les données fournies sont de plus en plus éloignées de la réalité.
« Les gens peuvent autogénérer leurs propres fausses nouvelles. Cela ne provient pas entièrement de sources externes », indique ainsi Jason Coronel, principal auteur de l’étude et professeur adjoint en communications à l’Université d’État de l’Ohio.
« Il est possible qu’ils ne le fassent pas exprès, mais leurs propres biais peuvent les égarer. Le problème ne fait que prendre de l’ampleur quand ils partagent leur propre désinformation avec d’autres personnes. »
Les travaux ont été publiés dans la version numérique de Human Communication Research.
Pour parvenir à leurs conclusions, les chercheurs ont effectué deux études. Dans le cadre de la première, les scientifiques ont présenté de brèves descriptions écrites d’enjeux sociétaux à 110 participants. Toutes les descriptions comportaient des informations chiffrées.
En lien avec deux de ces enjeux, les chercheurs ont effectué des pré-vérifications et découvert que les informations factuelles fournies correspondaient à la vision des choses d’une majorité de la population.
Mais les chercheurs ont également présenté des données qui allaient à l’encontre des croyances et des partis pris de la plupart des gens, par exemple sur l’immigration provenant du Mexique en direction des États-Unis.
Après avoir lu les descriptions de tous les enjeux, les participants ont reçu une surprise: on leur a demandé d’écrire les nombres qui étaient dans les descriptions des quatre enjeux. On ne leur avait pas dit, à l’avance, qu’ils devaient mémoriser ces nombres.
Les chercheurs ont constaté que les gens se trompaient peu souvent lorsque venait le temps de répéter des données associées à des biais positifs, mais que la situation s’inversait du tout au tout lorsqu’il était question d’enjeux allant à l’encontre de leur vision des choses.
« Nous avons eu des cas où les participants se souvenaient des bons nombres… mais les inversaient! », mentionne M. Coronel.
« Ils ne se trompaient pas, mais ont carrément interchangé les données. »
Par ailleurs, l’utilisation d’une technologie du suivi du regard a permis de constater que lorsqu’ils étaient confrontés à des données ne faisant pas leur affaire, les participants les relisaient deux, trois, voire quatre fois, « comme s’ils se demandaient ce qui se passe », indique encore M. Coronel.
« On aurait pu croire que si les participants ont accordé davantage d’attention aux données qui allaient à l’encontre de leur parti pris, ils s’en rappelleraient plus facilement, mais ce n’est pas cela que nous avons constaté. »
Jeu du téléphone
Dans le cadre de la deuxième étude, les chercheurs ont voulu savoir comment ces faux souvenirs se répandaient au sein d’une population, continuant d’être modifiés dans le mauvais sens au passage. Pour ce faire, ils ont conçu un jeu rappelant celui du « téléphone ».
Par exemple, le premier participant a pris connaissance de statistiques sur le nombre de Mexicains vivant aux États-Unis, soit qu’on enregistrait un recul. Il a dû écrire ce nombre de mémoire, nombre qui a ensuite été transmis à la deuxième personne dans la chaîne, qui a dû effectuer les mêmes étapes. Les estimations ont ensuite été transmises à la troisième personne, et ainsi de suite.
Les résultats ont démontré qu’en moyenne, la première personne inversait les nombres et affirmait que le nombre de Mexicains vivant aux États-Unis avait augmenté (ce qui est faux).
À la fin de la chaîne de transmission, un participant moyen avait indiqué que la population originaire du Mexique avait augmenté de 4,6 millions d’habitants, alors qu’elle a plutôt diminué de 900 000 personnes.
Si M. Coronel admet que l’étude a ses limites – les biais personnels des participants n’ont pas été mesurés, par exemple –, elle indique toutefois que nous ne devons pas seulement nous méfier des fausses nouvelles provenant du monde extérieur.
« Nous vivons avec nos biais tous les jours, et nous devons tenir compte du fait que la désinformation que nous créons nous-même peut être aussi, voire plus importante que celle des sources externes. »
Les vérificateurs de faits ébranlent en partie les croyances